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pays voisins. À cet égard, le traité de Gandamak plaçait les Afghans sous une sorte de protectorat britannique. Les événemens devaient bientôt montrer combien, même sous cette forme adoucie, les Afghans répugnaient à toute domination étrangère. Quelques mois à peine après la signature du traité de Gandamak, en septembre 1879, alors que lord Beaconsfield et lord Salisbury se glorifiaient d’avoir définitivement établi à Caboul la suprématie britannique, le résident anglais, sir Louis Cavagnari, était massacré avec toute sa suite. L’émir qui avait traité avec le vice-roi de l’Inde, Yakoub-Khan, était renversé par une insurrection. Le général Roberts se voyait contraint de recommencer une nouvelle campagne. Rentré à Caboul, il était bientôt menacé d’y être cerné. Durant quelques jours, on redouta à Westminster un désastre analogue à celui de 1840. On était réduit à se féliciter que, en évacuant Caboul, le commandant britannique eût pu échapper à une capitulation. Si, quelques semaines plus tard le général Roberts rentrait dans la capitale de l’Afghanistan, c’était pour l’abandonner bientôt, après avoir reconnu comme émir l’élu des chefs afghans, Abd-ur-Rahman, l’ancien pensionné des Russes à Samarkand.

On n’a pas oublié quelle part ces sanglans mécomptes eurent à la chute du cabinet anglais, en avril 1880. L’Afghanistan avait été le Tonkin des tories. M. Gladstone et lord Granville se gardèrent de rétablir à Caboul le résident britannique installé par Beaconsfield. Ils jugèrent qu’avec une population aussi belliqueuse, dans un pays aussi difficile à gouverner, le plus prudent était de mettre le drapeau anglais à l’abri des émeutes de Caboul et de l’humeur variable des feudataires afghans. Au lieu de chercher à faire de l’Afghanistan un vassal de l’empire indien, ils s’attachèrent à s’en faire un ami, ce qui était peut-être plus habile, quoique ce ne fût pas beaucoup plus sûr. En retirant les troupes anglaises de Caboul et même de Kandahar, malgré les protestations de Beaconsfield, ils eurent soin d’assurer à l’émir aujourd’hui encore régnant, Abd-ur-Rhaman, une subvention régulière de roupies indiennes. Avec les princes orientaux, c’est là, on le sait, le procédé le plus simple comme le plus économique, et, sur ce terrain, l’empereur de toutes les Russies ne saurait lutter avec la riche Albion.

En même temps, M. Gladstone abandonnait Quettah ou renonçait à la construction d’une voie ferrée de l’Inde à cette ville. c’était peut-être là montrer moins de prévoyance. Aux yeux des Asiatiques, l’Angleterre paraissait bien pressée de sortir de l’Afghanistan et de toutes les places si chèrement conquises. On ne pouvait manquer, dans les bazars de Caboul et de Hérat, comme dans les mosquées de Lahore et de Delhi, de mettre en parallèle la conduite des Russes dans le Turkestan avec celle des Anglais