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nos soldats au loin, pour maintenir le renom et l’ascendant moral de la France. Cette triste affaire du Tonkin, elle est décidément destinée à se traîner à travers tous les contretemps; elle a mal commencé, elle continue mal, et au fond la première cause de ces défaillances, de ces contradictions qui affaiblissent l’influence française dans le monde, c’est qu'il n’y a pas de gouvernement. c’est là la vraie question. Si, depuis l’origine, cette malheureuse entreprise a été conduite d'une façon si décousue, avec tant de légèreté et d’imprévoyance, c’est qu'il n’y a pas eu un gouvernement sachant se fixer un but, osant avouer ses desseins et proposer les moyens nécessaires pour en assurer le succès. Si on est arrivé à ce point où il n’y a plus que le choix entre les fautes, où l’on n’échappe à une évacuation humiliante que par une occupation due à un vote de miséricorde, c’est que la confiance manque, c’est que depuis longtemps on ne voit nulle part ni direction ni volonté. M. le président du conseil, M. le ministre des affaires étrangères, M. le ministre de la guerre ont pu au dernier moment parler avec habileté ou avec feu : ils n’ont réussi qu'à conquérir quatre voix de majorité, parce qu'ils ne représentent plus qu'une autorité diminuée. Ils ne sont pas un vrai gouvernement, et il n’y a pas de gouvernement parce que depuis des années tous les ministères se sont étudiés à s’effacer pour vivre, à se subordonner aux passions et aux calculs de parti, à laisser fausser tous les ressorts de l’état, à épuiser les complaisances et les concessions à l’égard des radicaux, — de ces radicaux qui ont été les premiers à proposer l’évacuation du Tonkin. Maintenant le mal est fait et on en subit les conséquences.

Les radicaux, il est vrai, ont trouvé pour cette dernière campagne des alliés imprévus parmi les conservateurs, qui tous, sauf un courageux dissident, M. L’évêque d’Angers, se sont déclarés pour l’abandon plus ou moins déguisé du Tonkin. Les conservateurs se sont crus sans doute d’habiles tacticiens en aidant les radicaux à infliger à la république l’humiliation d’une retraite compromettante. Avec un peu plus de clairvoyance, ils auraient compris que leur rôle à eux était de mettre l'honneur, la dignité du pays au-dessus de tout, et en montrant ce désintéressement, cette générosité de sentiment national, ils auraient eu d’autant plus d’autorité pour combattre les républicains de toutes les nuances dans les affaires intérieures où ils les rencontrent à chaque pas ; ils auraient eu d’autant plus de force pour défendre contre eux les garanties publiques, la paix religieuse, l’ordre financier, les droits du pays, tout ce qui est en péril aujourd'hui.

Radicaux et opportunistes, puisqu'ainsi on les nomme, peuvent bien se diviser en effet sur une question de politique extérieure ; ils sont toujours sûrs de se retrouver d’accord dans un intérêt commun de parti, toutes les fois qu'il s’agit de casser des élections conservatrices ou d’encourager