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IV.

Demandons-nous, avant de terminer, à quelle population convient notre colonie, et quels sont les moyens de l’y attirer.

L’Algérie nous paraît être surtout l’affaire de ces trop nombreux vignerons du Midi, de qui le phylloxéra a détruit les espérances, mais qui gardent encore quelques débris de leur bien-être passé. Trop pauvres pour entreprendre rien de profitable dans leur pays ruiné, au lieu d’épuiser dans l’attente leurs dernières ressources, ils feraient mieux de porter dans notre belle colonie le peu d’argent qui leur reste, leur expérience et leur activité. Déjà bronzés au soleil, ils supporteront plus aisément le climat africain que les émigrans venus du Nord. Ceux de Provence se sentiront à peine loin de chez eux. Les côtes sud de la Méditerranée nous sont apparues parfois moins sèches et plus fertiles que les côtes nord. Ils ne peuvent guère perdre au change.

Il leur sera certainement plus facile et plus profitable de transformer en vignoble un bon terrain d’Afrique que de changer les maigres coteaux de leur patrimoine ruiné en guérets labourables ou en prés verdoyans. Par un simple déplacement, ils sont à peu près sûrs de pouvoir refaire leur carrière et retrouver leur profession si avantageuse.

L’Algérie, au point de vue qui nous occupe, n’en est plus à faire ses preuves. Quelques-uns de ses crus sont déjà très appréciés. La province d’Oran produit des vins capiteux et forts en couleur qui rappellent ceux d’Espagne. Mascara est connue depuis longtemps pour ses vins blancs ; les rouges s’y dépouillent en vieillissant et ressemblent alors, pour le goût comme pour la couleur, à d’excellent bourgogne. La province d’Alger donne des produits plus légers, mais dignes d’estime. Médéa prétend remplacer nos meilleurs vins blancs ; nous en avons goûté de très fins à Koubba, près d’Alger. Les trappistes de Staouéli, sur le Sahel, livrent au commerce des vins dont le mérite n’est pas seulement d’avoir mûri sur un emplacement historique, tout près des lieux où se livra la première bataille de 1830. Dans la province de Constantine, on a fait de bons essais près de Rouffach et de Milah ; aux Béni-Mélek, près de Philippeville, on a imité les crus du Médoc et ceux des côtes du Rhône. Les crus de La Galle se rapprochent du bordeaux. Souk-Ahrras vend déjà assez cher des vins blancs qu’on compare au sauterne. Dans les plaines de Bône, près de Mondovi, un cultivateur fort entendu, qui même n’est pas propriétaire, mais simple locataire de sa ferme.