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III.

Le plus grand espoir des Algériens, en ce moment, est fondé sur la vigne. Le phylloxéra n’a franchi la Méditerranée que sur un seul point, Tlemcen. On croit volontiers ce qu’on désire ; aussi les colons s’imaginent que ce fléau ne saurait s’acclimater sur leur sol vierge. La virginité du sol de l’Algérie nous paraît étrangement illusoire. Après les défrichemens, quelques années de culture sans fumure y amènent l’épuisement, tout aussi bien qu’en Europe. Nous en avons constaté de trop nombreux exemples. L’Arabe épuise peu parce qu’il produit peu et qu’il laisse la plus grande partie de ses terres en jachère, soit par indolence, soit pour entretenir ses bestiaux. Le Kabyle, dans la pénurie où l’ont réduit les confiscations de ses terres, en est venu à les appauvrir, parce qu’il est obligé de les cultiver sans relâche et aussi sans fumures, faute de chemins et de véhicules pour le transport des engrais. Sa femme n’est-elle pas d’ailleurs habituée à sécher la bouse de ses vaches pour s’en faire un combustible, chauffer ses enfans dans son gourbi et cuire ses alimens ? Misérable expédient qui supprime tout espoir d’amélioration du sol. Aussi la production, déjà si maigre, des montagnes se réduit-elle de plus en plus. On affirme que les pauvres indigènes doivent se résigner parfois à ne récolter que deux grains ou trois pour un de semence. Sur les collines du Sahel même, comme en bien d’autres lieux cultivés depuis longtemps, les semailles faites après jachères triennales sans fumure ne produisent guère plus de sept ou huit grains pour un. Certes, on obtient beaucoup plus, douze ou quinze pour un, dans la Mitidja et dans les terrains humides, d’alluvion profonde. Mais ces terrains sont rares en Algérie comme partout. Le sol du Tell, montueux et bosselé au-delà de toute expression, trop souvent dépouillé d’arbres depuis des siècles, raviné par les eaux, s’appauvrit tout comme un autre quand il n’est pas soumis aux lois communes du roulement des plantes, de la fumure ou de la jachère reposante.

Quoique la nature du fonds ne soit pas une garantie contre le phylloxéra, les pentes multiples de la plupart des provinces algériennes semblent pourtant être prédestinées à la plantation de la vigne. L’expérience a prouvé qu’elle pouvait y croître presque partout. Les Kabyles, depuis les temps antiques, la suspendent à leurs arbres. Elle y atteint de grandes proportions : les pousses d’une année y donnent souvent des sarmens de 1m,50 à 2 mètres de long. La sécheresse, qui tue tant d’autres plantes, gêne à peine le pampre cher à Bacchus. Aussi les colons le plantent-ils avec un entraînement