Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux de pouvoir confier leurs exploitations et leurs intérêts à des travailleurs compétens et dignes de confiance. Il en est qui commanditeraient volontiers de tels agens, notamment pour la plantation des vignes. d’autres les emploieraient comme métayers, avec part dans les profits, pour peu qu’ils pussent compter sur eux. On n’est pas habitué là-bas à se montrer trop exigeant sur le choix du personnel. Un Français qui offre moralement quelque surface a plus de chances de bien se placer chez les autres, que ne peuvent espérer de réussir sur leurs propres terres les déclassés de la bande roulante, prétentieux, incapables et paresseux, qui vont à la recherche non d’une position modeste et suffisante, mais d’on ne sait quelles utopies grossières et décevantes. Avec de l’économie, un bon contremaître ou métayer peut avoir l’espoir d’amasser, à la longue, un pécule qui lui permette d’entreprendre à son compte une exploitation rurale sur les terres d’autrui.

La classe des fermiers à prix d’argent n’existe pour ainsi dire pas en Algérie. Elle a pourtant lieu de surgir, en des contrées où le loyer du sol est insignifiant, et où des propriétaires absens ont déjà acheté beaucoup de terres qu’ils ne peuvent faire valoir eux-mêmes. c’est par là que devraient débuter les colons munis de trop maigres ressources pour pouvoir sans témérité acheter des terres, les défricher, bâtir des maisons et créer un immeuble exploitable. Ce qu’il ne peut apporter avec lui, le sol, l’habitation, les plantations permanentes, un fermier offrant quelques garanties peut l’attendre d’un propriétaire embarrassé de domaines vides et improductifs. c’est bien assez, pour le cultivateur débutant, d’avoir à se pourvoir de bestiaux, d’instrumens agricoles, de semences. n’a-t-il pas encore à payer la partie de main-d’œuvre à laquelle ne suffisent pas ses bras et à attendre un an ou deux une récolte qui le mette bien à flot ? Si, de plus, il a l’ambition de planter vigne de compte à demi avec le maître du sol, n’a-t-il pas assez de déboursés à faire et n’est-ce pas suffisamment risquer, sur la foi de saisons incertaines et d’un climat extrême dans ses parcimonies comme dans ses prodigalités ?

Mais puisque ce n’est point ainsi que la plupart des colons français entendent se lancer dans les entreprises agricoles, puisque presque tous prétendent être dès le premier jour propriétaires, il faut bien qu’ils se rendent compte du capital qu’ils doivent apporter avec eux pour avoir quelque certitude de succès. Nous nous plaçons au point de vue des plus modestes, de ceux qui voudront mettre eux-mêmes la main à l’œuvre et labourer de leurs bras.

L’achat de 20 hectares de terrain, au prix moyen de 250 francs, exigera bien 5,000 francs, pour peu qu’on ne s’établisse pas trop