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financières qui travaillent dans notre colonie, devra se heurter tout d’abord à l’état de la propriété et aux procédés de culture du sol. Nul ne pensera assurément que les choses rurales se passent exactement au-delà comme en-deçà des mers. En tout cas, il est bon de signaler les dissemblances comme les analogies. Ce sera peut-être faire tomber quelques préjugés chez certains lecteurs, prévenir des mécomptes et préparer des entreprises plus d’accord avec les conditions du possible que celles qu’on rêve souvent et qu’on tente quelquefois. Si ces lignes deviennent utiles aux intéressés ou éclairent les curieux, nous ne regretterons pas nos pérégrinations et n’aurons point perdu le fruit de nos recherches.

Plusieurs sortes de gens se mettent martel en tête à propos de l’Algérie : ceux qui songent à y devenir colons et à cultiver de leurs mains ; ceux qui veulent y faire exploiter des fermes, sous leurs yeux et à leurs frais ; ceux qui désirent simplement y placer des capitaux en biens-fonds et pourtant habiter au loin, dans la mère patrie. Mettons-nous pour aujourd’hui au point de vue des premiers.


I.

Les personnes qui forment le projet d’apporter leurs bras à l’Algérie nourrissent assurément en cela un désir profitable à la patrie, dont on ne saurait que les louer, quels que soient d’ailleurs les motifs qui les poussent à quitter la France. Plût à Dieu qu’un plus grand nombre de nos compatriotes fussent allés au dehors étendre notre influence, assurer notre ascendant national et fixer les résultats de nos conquêtes ! Quand il y a trop plein dans une contrée, ou que le travail n’y est plus rémunérateur, que l’avenir n’offre plus de perspectives encourageantes, il est naturel et sage de songer, non précisément à s’expatrier, mais à changer de province. L’Algérie n’est qu’une province de la France. Mais encore faut-il être apte à ce déplacement, capable de réussir ailleurs que chez soi, et remplir certaines conditions sans lesquelles on ne saurait faire un véritable colon.

Et d’abord, quel est le propriétaire d’entre nous à qui viendrait la pensée d’aller trouver un ouvrier de ville, ou un petit marchand, commis, bonnetier, coiffeur, épicier et de lui dire : Viens-t’en dans ma ferme, là-bas, au fond de la province, en pays de loups et de solitaires, et sois-y mon fermier, mon métayer, mon domestique rural ; plantes-y mes choux, sème mes blés, taille mes bois, laboure mes champs, soigne mes vignes, engraisse mes bœufs ? Cette simple