Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garanties contre le retour de pareils faits, l’occupation permanente par les Turcs des passes des Balkans, en exécution du traité de Berlin. La Grèce n’a pas dit quelles seraient ses prétentions au cas où l’Europe laisserait s’accomplir l’union bulgare. Encore aujourd'hui, d’ailleurs, les Grecs ne s’entendent pas absolument sur la question des territoires à réclamer et au besoin à envahir. Il y a les exaltés, — les irrédentistes, comme on dit en Italie, — il y a les modérés. Il y a ceux qui ont renversé le ministère Coumoundouros, pour avoir accepté la rectification de frontières proposée par la conférence de Constantinople ; il y a ceux qui lui font un honneur d’y avoir consenti. M. Bikélas, par exemple, a écrit que plus tard on élèvera une statue à Coumoundouros en mémoire de ce grand acte. Pour les uns donc, il faut avoir la Crète, toutes les îles du littoral asiatique, l’Epire entière, la presqu'île de Salonique et une partie de la Macédoine. Selon de moins impatiens, la Grèce doit borner ses ambitions présentes à la vallée de l’Haliakmon pour la Thessalie, à la vallée du Kalamas pour l’Épire et à l’île de Crète. A entendre de plus modestes encore, il faut seulement réclamer le tracé même indiqué dans l’acte final de la conférence de Berlin, c'est-à-dire l’Épire jusqu'au thalweg du Kalamas et la Thessalie jusqu'à la crête méridionale de l’Olympe.

Si la majorité du peuple grec n’a pas renoncé à la « grande idée, » si le rétablissement de l’ancien empire byzantin avec Constantinople pour capitale est encore l’ambition générale, un grand nombre d’Hellènes, sans pour cela être moins patriotes, s’arrêtent à une autre pensée. Depuis une dizaine d’années, l’hellénisme antique lutte chez les Grecs contre le byzantinisme. Ce ne serait pas sans regrets que plus d’un Grec verrait Constantinople remplacer Athènes comme capitale. Pour toute une nouvelle génération d’hommes politiques, il faut laisser Constantinople à qui la possède ou à qui la voudra prendre, et il faut refaire l’antique Hellade avec le royaume actuel, l’Épire grecque, la Thessalie entière, la presqu'île de Salonique, une partie de la Macédoine et la Crète. Un jour peut-être, la réunion à la Grèce des îles de la mer Egée et des villes d’Ionie, premier berceau de l’hellénisme, viendra achever cette résurrection de la grande patrie grecque. Si c’est là un rêve, au moins semble-t-il moins irréalisable que celui du rétablissement de l’empire byzantin; au moins est-il de tous les rêves le plus noble et le plus enchanteur.

Tout arrive. Il y a près de vingt ans, le 9 février 1867, M. le général Türr, qui, soldat, ingénieur, diplomate, écrivain, a tous les dons, même celui de prophétie, proposait dans le Journal des Débats cette solution de la question d’Orient : « Les trois groupes