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La note collective des plénipotentiaires, remise le 9 avril 1881, à M. Coumoundouros pour l’engager à accepter les clauses de la convention de Constantinople, commençait ainsi : « Les conclusions consignées dans l’Acte final de la conférence de Berlin n’ayant pu, par la force des choses, recevoir l’exécution que les puissances avaient en vue... » Cette « force des choses, » c’était la force de la Turquie ; c’était sa résistance à la volonté des puissances ; c'était son refus de remplir les stipulations d’un traité qu'elle-même avait signé. — Pour les Grecs, ils étaient bien fondés à parler alors, ils sont bien fondés à reparler aujourd'hui, citant les termes mêmes d’une lettre de lord Granville, « des conditions non exécutées du traité de Berlin. »


II.

Ce n’était pas seulement au nom du principe des nationalités que les Grecs revendiquaient, en 1878, l’Épire et la Thessalie. La Grèce faisait valoir une raison plus décisive : l’intérêt des populations épirotes et thessaliennes. A entendre les Grecs, la réunion de ces deux provinces ne serait pas seulement le retour à la mère patrie de sept ou huit cent mille Hellènes, ce serait aussi leur retour au droit commun de tous les peuples de l’Europe : la liberté, l’état social, l’ordre dans l’administration, la sécurité dans la justice. En pénétrant en ces pays, la civilisation développerait l’industrie et le commerce, accroîtrait les produits de l’agriculture, augmenterait la fortune publique. Etaient-ce là des sophismes? Les Thessaliens, — l’Epire est demeurée à la Turquie, — ont-ils profité autant que le prétendaient les Grecs, à cette annexion au royaume qu'ils réclamaient depuis cinquante années? Les habitans de Larisse regrettent-ils d’avoir accueilli avec tant d’enthousiasme, en 1881, les premières troupes grecques? Il n’y a pas apparence. Les quatre années que viennent de passer les Thessaliens sous le gouvernement du roi George, auraient réalisé toutes leurs espérances, si toutes les espérances d’un individu, et surtout toutes les espérances d’une population, pouvaient jamais être réalisées. De nouvelles routes, de nouvelles écoles, une administration régulière, une justice équitable, une bonne gendarmerie, la suppression de la dîme, ce mode barbare et ruineux de perception, sont les premiers bienfaits de l'annexion. l’établissement du chemin de fer de Thessalie, dont trois tronçons d’une longueur totale de 120 kilomètres sont déjà ouverts au trafic, et qui, dans quelques années, reliera la Grèce à l’Europe centrale par Salonique, Sofia, Nisch et Vienne, est aussi une bonne fortune inappréciable pour le pays. En Thessalie, où les récoltes dépassent de beaucoup la consommation et où, d’autre part, les matières