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la dernière année de sa vie, l’impératrice avait entrepris un nouveau travail sur la nature duquel elle ne s’explique pas, mais qui devait « être singulièrement salutaire au pays et remédier à cent mille choses. » — « Je fais le plus sot des ouvrages, confie-t-elle à Grimm sur son ton habituel de demi-plaisanterie : il est immense; les six chapitres achevés sont des merveilles dans leur espèce chacun; j'y mets un travail, une exactitude, un esprit et un génie même dont je ne me croyais nullement capable, et je suis tout étonnée de ce que je fais quand un chapitre est achevé. Que Dieu bénisse ceux qui auront cela à mettre en exécution ! La méthode en doit être au moins fort bonne, car tout vient se ranger en foule et avec empressement, chaque chose à sa place. C’est vraiment une drôle de chose. Il me faut encore un an environ pour l’achever. j’y travaille à force, et j’en suis si occupée que tout en dormant j’en compose dans ma tête des chapitres entiers[1]. »

Je note que l’impératrice se défend d’avoir rédigé ses Mémoires. « Ce qu'il y a de sûr, lisons-nous à ce sujet à la date de 1790, c'est que je n’en ai pas écrit, et que si c’est un péché de ne l’avoir pas fait, je dois m’en accuser. » d’où il n’y a pourtant rien à conclure contre l’authenticité du fragment qui a été publié en 1859 par M. Herzen. Catherine pouvait se refuser à regarder comme des mémoires de sa vie un récit qui n’allait pas même jusqu'à son avènement à l’empire ; elle pourrait aussi, à la rigueur, n’avoir fixé que plus tard sur le papier ces souvenirs de sa jeunesse.

Nous avons, dans la correspondance avec Grimm, plusieurs descriptions de la manière dont se passaient les journées de Catherine, les unes gaies, les autres graves, et laissant apercevoir combien les soins du gouvernement s’appesantissaient dans les dernières années. Les distractions, les jeux avec les petits enfans ont leur place dans ce tableau des occupations impériales. « Nous législatons depuis six heures du matin jusqu'à neuf, puis vient le courant jusqu'à onze qu'arrivent mons Alexandre et le sieur Constantin ; puis, demi-heure avant et heure après dîner, pour les dits seigneurs nous faisons a b c, contes, mémoires, puis deux heures de repos parfait, et puis une heure et demie pour griffonner lettres, etc., après quoi les dits seigneurs reviennent reprendre tapage jusqu'à huit; puis vient qui veut jusqu'à dix. Or, moi, je soutiens que voilà une journée très remplie et que sera bien habile qui trouvera moyen de faire des commentaires encore. » En automne, quelques heures de plus laissées aux passe-temps, deux ou trois fois par jour fuites à l’Ermitage, les noisettes qu'on donne à l’écureuil, la visite qu'on fait au singe, les parties de billard, les pierres gravées, les estampes.

  1. Le passage ici donné en italique est en allemand dans l’original.