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ce que je veux. » La décision n’est pas seulement forte, elle est nette et prompte : « Quand on a dit A, il faut dire B. » — « Les incertitudes sont, de toutes les choses du monde, celle qui fait pâtir le plus les gens conformés comme moi. » Toutefois, et malgré cette trempe de volonté, Catherine est ouverte à la raison, souple aux avis : « Je me suis toujours senti beaucoup de penchant à me laisser mener par les gens qui en savent plus que moi, pourvu seulement qu'ils ne me fassent pas sentir qu'ils en ont l’envie ou la prétention, car alors je m’enfuis à toutes jambes. » Elle se reconnaît des qualités, mais elle ne se surfait pas et ne veut pas être prônée comme un modèle : « Je ne suis, moi, écrit-elle à Grimm, qu'un composé de bâtons rompus. » Dans une lettre à Mme de Bielke, elle se dit « un aussi franc original que l’Anglais le plus déterminé. »

On a l’épitaphe de Catherine rédigée par elle-même; plusieurs des traits que je viens de marquer s’y retrouvent. « Elle pardonnait aisément, y lisons-nous, et ne haïssait personne; indulgente, aisée à vivre, d’un naturel gai, l’âme républicaine et le cœur bon, elle eut des amis; le travail lui était facile, la société et les arts lui plaisaient. »

Si du caractère de Catherine nous passons à son esprit, nous le reconnaissons fait essentiellement de bon sens, avec des vues toutefois dont elle ne se rend compte elle-même qu'à demi, et ces intuitions qui distinguent l’homme d’état. Ce n’est pas elle qu'égarera le besoin exagéré de logique. Elle s’est convaincue que plus on raisonne, plus on déraisonne. Elle est d’avis qu'il n’y a rien de tel que les têtes sages, mais qu'il ne faut pas tout leur dire. Elle est enchantée un jour parce qu'elle a lu dans les Dialogues de Galiani « que c’est un grand assemblage de contradictions qui fait les grandes caboches. » Elle en sait, enfin, assez long sur le compte de l’humanité pour ne s’étonner de rien : ni les écoles, ni les prêches de morale, pense-t-elle, ne rendent les hommes plus sages; la belle nature reparaît tout partout.

Derrière l’homme d’état, on le voit, il y a chez Catherine le philosophe. Elle a étudié. « Dix-huit années d’ennui et de solitude, dit-elle dans l’épitaphe que je citais tout à l’heure, lui firent lire bien des livres.» Et nous savons par ses Mémoires quelles étaient ces lectures de sa jeunesse : de toutes sortes, mais, dans le nombre, Tacite, le Dictionnaire de Bayle tout entier, l’Esprit des lois. Elle a la curiosité de l'intelligence. Nous la trouvons, dans les lettres à Grimm, toute préoccupée des idées de Buffon sur l’origine du globe, avalant les neuf volumes de Court de Gébelin sur le monde primitif. « Le pourquoi du pourquoi serait fort agréable à savoir. » Philosophe, ai-je dit, par conséquent sceptique et surtout peu portée à l’optimisme : « Si