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à l’envers, pensait-elle, mais de l’esprit, des connaissances et même des talens. Un peu de bizarrerie de sa part n’était pas fait pour étonner Catherine, « car, dit-elle, il appartient à des gens fort singuliers dont il tient beaucoup. » Que s’il a besoin d’argent, elle veut qu'on lui en donne. Quand l’impératrice s’exprimait ainsi, elle ne se doutait pas encore de l’étendue des extravagances de Bobrinski, qui avait fait des billets pour des sommes considérables, un entre autres de plus d’un million de livres, sur lequel le détenteur consentait à perdre la moitié si on le payait sur-le-champ. « Il est singulier, écrit la tsarine à Grimm, que cet avare se soit laissé entraîner à gaspiller ainsi sa recette. j’enverrais bien quelqu'un pour retirer ce monsieur-là, mais il est si farouche et si caché qu'il est capable de n’y prendre aucune confiance : il se dira malade et s’échappera. Je crois que le mieux serait de le faire venir chez vous et de lui dire que je vous ai chargé de lui conseiller de mettre de l’ordre dans ses affaires, de ne plus jouer ni parier des sommes qui excèdent son revenu, et de payer ses dettes de la façon indiquée. Vous entendrez alors ce qu'il dira ; demandez-lui un aveu sincère, et, s’il le fait, faites-lui mettre par écrit comment il veut s’arranger. s’il fait le renfermé et cherche à esquiver, ayez la bonté de lui représenter les conséquences. Dites-lui qu'ayant prévu ses écarts, on l'avait confié à M. Bouchouyef, qu'il a voulu avoir les coudées franches, qu'on les lui a données, qu'il en voit les suites, qu'une somme énorme n’a pas suffi entre ses mains, qu'il fera bien à l’avenir d’employer son argent avec plus d’utilité, et qu'au reste, s’il a envie de se ruiner, il en est le maître. Pour le tirer de Paris, je crois qu'il faudrait lui conseiller d’aller en Angleterre. » Mais Catherine n’était pas femme à tenir rigueur au fils d’Orlof. Il Je m’attache uniquement, dit-elle deux mois après, à la détresse dans laquelle se trouve le jeune homme à la suite des sottises qu'il a faites, et j’ai ordonné de vous envoyer les 23,000 roubles dont il a un besoin si urgent. Il est pris d’un fonds qui est en réserve pour lui, mais c'est ce qu'il ignore et doit ignorer; ainsi vous pouvez donner à cela telle tournure qu'il vous plaira, pourvu que vous payiez ce qu'il est indispensablement nécessaire de payer. » Finalement tout est arrangé. « Dieu merci qu'il ait payé ses dettes et que vous en soyez quitte ! Je crois que vous feriez bien de payer les 15,000 livres qui restent, et de me renvoyer les billets comme vous me le proposez. Ce qu'il y a d’étrange à tout cela, c’est que le jeune homme est foncièrement très avare. Vous aurez sur cette affaire une décharge particulière. Mais comment voulez-vous qu'on mette un panier percé comme cela à la tête d’un régiment? Cela n'a ni expérience ni sens commun encore. » Bobrinski avait été trop heureux de quitter Paris pour l’Angleterre afin d’échapper à