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littéraires qui avaient jadis fait la fortune du Petit Prophète. La requête qu'il adressa à Catherine débutait par une parodie du Credo, dans laquelle cette souveraine prenait la place des trois personnes de la trinité ; l’écrivain lamentait ensuite, dans le style de Jérémie, la destinée qui l’avait ramené en Russie sans lui permettre d’y rester définitivement. Arrivant enfin à l’exposé de ses difficultés et de ses vœux, notre courtisan racontait en langage moins fleuri qu'il était venu au monde sans fortune et qu'il n’avait pas encore réussi à s’en faire une. « N’ayant jamais ni volé, ni su tirer parti de mes occupations, j’ai perdu ma vie à faire un mauvais travail à qui je dois cependant tout mon bonheur, qui n’est pas commun. l’état de ma santé m’obligeant d’y renoncer, j’ai trouvé, en faisant mon décompte, qu'après en avoir vécu honnêtement pendant vingt ans, je m'en étais encore ménagé un revenu annuel d’environ sept à huit cents roubles. » Ce revenu, suffisant pour donner du pain à un philosophe, ne l’est pas pour permettre à Grimm de vivre en grand seigneur et à la cour de Russie. Le rôle d’hôte et de commensal de Catherine ne saurait, d’ailleurs, lui aller ; il craint qu'on ne se lasse de lui, il redoute les envieux, et il tient à rendre quelques services en retour des faveurs dont il est comblé. La pièce se termine par une nouvelle plaisanterie : l’embarras de prendre une décision a déterminé chez Grimm un état si critique qu'il a fallu faire appeler MM. Rogerson et Kelchen, les médecins ordinaires de l’impératrice ; or, il appert de leur consultation que le malade doit être renvoyé à Paris, parce qu'il n’est bon qu'à écrire et ne peut écrire que là ; d’un autre côté, comme il ne veut pas renoncer à servir sa majesté, c’est à celle-ci en définitive qu'il appartient de trouver le remède.

Nous avons la réponse de l’impératrice à cette requête. Catherine ne comprit pas tout de suite où Grimm voulait en venir ; regardant comme sincères les raisons qu'il donnait pour ne pas rester en Russie, elle s’appliqua de bonne foi à les lever. Il ne voyait pas, avait-il dit, en quoi il pourrait la servir à Pétersbourg : elle lui proposait de l’aider dans ses projets d’instruction publique. Il redoutait les difficultés : elle promettait « d’arranger si joliment les choses que tout viendrait tout naturellement se ranger sous ses pattes. » Il n’avait pas le courage de dire pour toujours adieu à Paris : eh bien ! qu'il ne s’engage que pour un temps limité. Quant à un traitement, la chose, s’il consentait, serait bientôt réglée. Catherine, au surplus, le laissait libre et ne demandait qu'un oui ou un non. La suite de la négociation nous manque, mais nous en connaissons le dénoûment. Grimm finit par faire comprendre qu'il lui répugnait de se fixer en Russie, et l’impératrice réussit à lui trouver des fonctions qu'il pût remplir à Paris. Il y devint son agent