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tous les résultats sont connus, et ce sont justement ces résultats connus, publiés jour par jour, qui ne promettent peut-être pas un long avenir à la politique et au ministère de lord Salisbury.

Chose assez curieuse ! aux premiers jours des élections, les conservateurs ont paru prendre vivement l’avantage, ils l’ont emporté surtout dans les grandes villes, à Londres, à Liverpool, à Leeds, à Sheffield. Les libéraux ont perdu du premier coup à la bataille deux des membres de l’ancien cabinet, M. Childers et M. Shaw-Lafèvre. M. Charles Dilke n’a passé qu’à une très petite majorité. M. Bright lui-même, malgré sa popularité et son éloquence tribunitienne, a en quelque peine à vaincre son jeune concurrent, lord itandolph Churchill, qui n’avait pas craint de se mesurer avec le viril athlète parlementaire. Un instant, le succès des tories a paru presque assuré, tant le mouvement se dessinait en leur faveur dans les villes. M. Gladstone, qui a en pour sa part son élection triomphale à Edimbourg, M. Gladstone seul ne s’est pas laissé décourager, il a mis jusqu’au bout sa confiance dans les comtés, dans ces électeurs ruraux qu’il a appelés à la vie publique, et c’est en effet par les comtés que tout a changé, que les libéraux ont repris l’avantage, dépassant rapidement les conservateurs. Au demeurant, à ne prendre que les résultats matériels, dans ce nouveau parlement qui se compose de 670 membres, les libéraux comptent un peu plus de 330 voix, les conservateurs ont 250 élus. Les libéraux gardent ou retrouvent encore, au moins en apparence, une majorité sans nul doute. Ils ont cependant perdu des voix, ils reviennent un peu moins nombreux qu’ils ne l’étaient au dernier parlement ; en dépit de leur victoire relative, ils n’ont pas une majorité suffisante pour prendre le gouvernement de haute lutte. Les conservateurs, à leur tour, en restant une minorité, ont pourtant conquis quelques voix, et le vote des villes peut leur donner une certaine force morale qui les soutient encore. Ni les uns ni les autres ne sont par eux-mêmes en mesure de s’imposer ; mais le phénomène le plus nouveau et le plus caractéristique de ces élections, c’est évidemment le succès décidé, presque imprévu, des nationalistes irlandais, qui ont été habilement conduits au combat par leur chef, M. Parnell, et qui vont former au parlement un bataillon serré de 85 soldats marchant d’un même pas, obéissant à un même mot d’ordre. Ainsi, dans cette nouvelle chambre des communes qui vient d’être élue, il y a 330 libéraux, 250 conservateurs, et entre les deux partis il y a 85 Irlandais, qui, par le fait, deviennent les maîtres de la situation en évoluant d’un camp à l’autre. Les Irlandais peuvent aider le ministère tory à vivre ou l’empêcher de mourir s’ils le veulent, s’ils y voient quelque avantage pour leur cause ; ils peuvent aussi, en s’alliant aux libéraux, leur donner une majorité plus que suffisante s’ils y trouvant leur