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pendant que Paula, par ses mots entrecoupés ou par son silence, plaide pour la pudeur, pour la fierté, pour le droit. Peu à peu il la persuade, ou plutôt elle se persuade elle-même ; sa douleur se fond en pitié, s’exalte en admiration pour cette mère qui, étant ce qu’elle est, a formé sa vertu, au risque d’être un jour condamnée par elle. Quand elle reparaît, cette mère, Paula se jette dans ses bras sans lui rien dire que d’héroïquement insignifiant, et l’étreint avec une émouvante fureur de tendresse. Le geste est décisif, il est net, joli, pathétique ; il fait éclater les bravos et jaillir les pleurs. C’est qu’il est le dernier terme d’une série de mouvemens d’âme, la fin d’une action morale que le spectateur a suivie chez Paula : en vérité, c’est la seule de l’ouvrage ; aussi est-ce elle qui en détermine le succès. La psychologie qui se laisse voir dans cette scène est suffisamment déliée ; le revirement qui s’y fait, s’il est plus hâté que ne le voudrait la nature, a cet avantage de soulager le public, oppressé par le jugement que cette fille suspendait sur sa mère ; mais surtout le privilège de ce monologue (une héroïne de tragédie l’eût tenu à elle seule), son caractère particulier dans la pièce et la cause de son efficacité, c’est qu’il est dramatique. Singulier cas cependant que celui d’un ouvrage de théâtre dont la seule partie dramatique est un monologue.

Hors de celle scène, M, Sardou peut montrer de quoi sa psychologie, qui ne s’y dépense pas tout entière, est capable. Il peut ébaucher le caractère de la courtisane parvenue à une grosse fortune et à un grand nom, mère passionnée à la fois et aveuglément égoïste ; heureuse d’avoir été u le fumier » d’où sa fille est sortie comme une fleur, incapable de se douter que, pour le bonheur et l’honneur de cette enfant, il faudra un jour l’arracher d’elle-même. Nous n’irons pas, comme pourrait dire certaine douairière, chercher midi à quatorze heures ; nous ne reprocherons pas à l’auteur d’avoir esquivé, après l’avoir annoncé on quelques points, le sujet que des mœurs récentes lui offraient au moins en qualité d’exception, et d’avoir diminué ainsi la portée possible de sa comédie ; d’avoir montré la courtisane, déguisée en honnête femme et en grande dame et ne gardant d’elle-même que sa conscience, — au lieu de la prendre toute franche, fidèle à sa condition, sinon à l’exercice de son métier, ut prétendant, telle quelle, imposer à une famille, et, par cette famille, au monde le contact de son argent et de son alliance. Le personnage, ainsi hasardé, eût été plus curieux ; il eut donné à la société contemporaine l’occasion de mieux déclarer ses complaisances nouvelles, tandis que, travesti comme on nous le donne, il complaît, au contraire, aux semblans de préjugés qu’elle garde. Nous l’acceptons néanmoins tel que M. Sardou le présente ; nous trouvons même qu’il le pose bien ; — il ne peut faire qu’il soit vivace : il n’a pas lieu de le taire agir. A plus forte raison, Mme du Chabreuil, qui n’a guère de caractère propre, a-t-elle assez d’une seule posture : elle