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offrir en deux comédies que dans une seule, N’a-t-il pas signalé, dans une célèbre farce, avec une plaisante élégance de démonstration, la vanité du divorce ? Quelques années plus tard, n’a-t-il pas dénoncé dans Odette, avec beaucoup de pathétique, la cruauté du mariage indissoluble ? Après Séraphine, ce pamphlet, contre la dévotion, n’a-t-il pas trouvé bon que Daniel Rochat fût tourné comme une machine de guerre contre la libre-pensée ? Il a usé, dans ces jeux contraires, de son droit d’auteur dramatique. De même, à la question qu’il pose aujourd’hui, il aurait pu, par des biais divers, présenter deux réponses : en deux pièces, dont les héros eussent différé par le caractère, et surtout par le degré de la passion, il eût fait triompher tour à tour la famille et l’individu. Mais non ! Il prétend donner les deux réponses à la fois, et de la sorte il n’en donne aucune ; son interprète lui-même le déclare : « La solution ? dit cet arbitre. Il n’y en a pas, comme dans la plupart de ces questions-là. Car enfin, je vous défie bien de dégager de tout ce que nous avons dit une autre moralité que celle-ci : une femme galante ne doit pas faire de sa fille une honnête fille ! .. Elle ne vous convient pas ? .. Trouvez-en une autre ! .. » Voilà le mot central de la pièce ; on n’accroche pas plus délibérément sur un ouvrage dramatique ce singulier écriteau : Impasse.

Pour rester sur place, pour y laisser le public, M. Sardou a choisi des héros dont il fût sûr, des héros sages, presque immobiles. Sans doute il ne suffisait pas, pour garantir l’équilibre de la comédie, que l’oncle dût épouser, et le neveu point : ils auraient pu, avant de parvenir chacun à son but, avoir de grands espaces à franchir et se croiser en chemin ; pour plus de sécurité, chacun, dès le lever du rideau, est à son poste, où finalement il se retrouve ; chacun, veux-je dire, demeure dans les mêmes sentimens, ou presque ; le plus agité des deux, le jeune homme, s’il a bougé dans l’intervalle, n’a bougé que fort peu. Aussi bien regardez-le, ce héros, et regardez l’héroïne, puisque leur amour est le foyer de la pièce. L’un est campé à droite, l’autre est campée à gauche ; ni l’un ni l’autre ne traverse la scène pour aller jusqu’à l’objet de sa passion. Est-ce passion qu’il faut dire ? Inclination suffirait. L’un et l’autre peuvent bien s’avancer jusqu’au milieu, vers le trou du souffleur ; une fois là, ils se font part de leurs consignes, et puis chacun retourne à sa place. Roméo rentre chez les Montaigu, Juliette chez les Capulet ; Rodrigue tire de ce côté pour épouser l’infante, sa cousine, et Chimène s’en va par là, réservée à l’oncle don Sanche. Les deux parties obéissent à des mots d’ordre. Même, pour le dire en passant, l’échange de ces mots d’ordre est encore un des traits où se reconnaît la netteté de M. Sardou. Le jeune homme annonce à la jeune fille que sa mère consent au mariage, pourvu que sa mère, à elle, habite un pays voisin, où ils iront, chaque année, lui tenir compagnie pendant six semaines : « Et si ma mère et