Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/930

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sophisme ! Une fille, justement à l’heure du mariage, emprunte sa valeur sociale de son mari. Même, a bien regarder les choses, elle a, en ce point, l’avantage sur un garçon : le fils de Coralie, en épousant Mlle X., reste M. Coralie et fait d’elle Mme Coralie ; sa fille, en épousant M. Z, devient Mme Z… Croyez-moi, monsieur Z, épousez, épousez sa fille ! »

D’autre part, le public, à tous ces beaux discours, faisait : « Oh ! oh ! » Il courbait la tête, un moment, sous la poigne forte et prompte de M. Dumas, sous la main violente de M. Delpit ; il l’avait même inclinée sous le geste mélodramatique de Félicien Mallefille, l’inventeur des Mères repenties ; mais, ces auteurs une fois passés, il se redressait et prenait sa revanche : « Bon ! s’écriait-il, ce ne sont que jeux d’hommes de lettres, théories à faire passer la soirée ! Mais dans la pratique, et même en droit… » Pour la pratique, dès avant M. de Maupassant et son Yvette, vers qui plusieurs se tournaient avec complaisance, on avait su que, si des hommes bien nés s’unissent à des filles mal nées, ce n’est guère en de justes noces ; pour le droit, on maintenait sans hésiter, contre les thèses des écrivains, qu’un homme d’honneur ne transporte le nom de son pèle, le nom porté par sa mère, qu’à la fille sans reproche d’une mère réputée sans tache.

Survient M. Sardou. Le fils de Mme Aubray a rencontré la fille de Coralie ; comme Panurge autrefois consulta Pantagruel, de même ce candidat au mariage consulte M. Sardou. « Hé ! hé ! fait l’oracle. — Mais encore ? .. — Hé ! hé ! — Nos personnes se conviennent… — Mariez-vous donc ! — Nos parentés ne se conviennent pas… — Point ne vous mariez ! » Si le premier sous-titre que je proposais plus haut, l’Impasse, parait de mauvais augure, et si le Pour et le Contre parait trop léger, M. Sardou, au moins dans la brochure, peut écrire au-dessous de Georgette : l’Individu et la Famille ; il se placera de la sorte parmi les princes de la sociologie, auprès de M. Herbert Spencer, avec d’autant plus d’avantage qu’il n’aura sacrifié ni la famille ni l’individu. Exempt de cette passion logicienne qui emporte les réformateurs, libre aussi de ces préjugés qui enchaînent les bonnes gens, homme d’esprit plus que de foi et de routine, avisé, alerte, il combat des deux mains, il se garde à droite, il se garde à gauche ; il voit les réalités adverses et, comme dit M, Renan, les deux faces de la vérité. »

Qu’un ne prétende pas, d’ailleurs, qu’il examine et qu’il éclaire l’une avec plus de déférence que l’autre. Sans doute, à la un de la pièce représentée tous les soirs, son héroïne reste fille, et son héros s’apprête à épouser une tierce personne, une petite cousine, née d’une tante vertueuse ; mais de même et par une exacte compensation, si l’on en croit la renommée, cette héroïne, lors des premières répétitions, épousait au dénoûment un fort honnête homme, oncle du héros ; à la dernière répétition encore, où l’auteur prit une grande partie du public à témoin de ses intentions véritables, il indiqua ce mariage