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bévues auxquelles l’entraînait son zèle à la servir. Pendant quelques années, conseiller occulte et tout-puissant du roi, le docteur, Judd consentit, en 1840, à prendre en mains le pouvoir avec le titre de ministre des finances et à appeler auprès de lui pour le seconder, en qualité de ministre des affaires étrangères, M. R.-C. Wyllie.

Né en Écosse, M. R.-C. Wyllie avait beaucoup voyagé ; possesseur d’une fortune considérable, acquise au Mexique et aux Indes, les hasards d’une vie aventureuse l’avaient amené aux îles, où le retenaient les charmes d’un climat merveilleux et l’étude d’une civilisation naissante. Curieux d’observer et d’apprendre, il avait réuni et publié, sous forme de notes, le résultat de ses excursions dans les îles et les travaux statistiques auxquels il s’était livré sur la population, la production agricole, les recettes et les dépenses de l’administration. Ce travail, qui se terminait par des appréciations dont le temps a démontré la justesse, avait attiré l’attention sur lui et le désignait pour être l’un des ministres du régime nouveau que l’on inaugurait, l’as plus que le docteur Judd, M. R-C. Wyllie ne consultait son intérêt en entrant aux affaires. L’ambition d’être utile le décida seule à accepter.

Chaque année voyait grossir le nombre des étrangers, des Américains surtout, que le développement du commerce, l’affluence des navires baleiniers, les fortunes rapides réalisées par les premiers colons attiraient dans l’archipel. Américains, Anglais, Allemands fondaient des comptoirs, créaient des plantations. Bien accueillis du roi, des chefs et de la population, leurs prétentions croissaient avec leurs forces. Les Américains, bien que jalousant l’influence prépondérante des missionnaires de Boston, en tiraient orgueil ; la conquête religieuse de l’archipel ne suffisait plus à leur ambition nationale ; ils y voyaient le prélude d’une annexion qu’autorisait à leurs yeux la décroissance rapide de la race indigène.

Sur la demande de kaméhaméha III, la France et l’Angleterre s’étaient engagées, en 1843, à reconnaître et à respecter l’indépendance havaïenne. Invité à suivre l’exemple de ces deux puissances et à se joindre à elle, le gouvernement des États-Unis avait refusé, alléguant sa politique traditionnelle de ne se lier par aucun acte diplomatique de nature à l’obliger, à un moment donné, à une action collective. Il protestait toutefois de sa volonté bien arrêtée de respecter, en toute circonstance, l’autonomie d’un royaume à l’indépendance duquel il avait toujours pris le plus vif intérêt. Le cabinet de Washington était sincère dans ses déclarations. Il n’entrait pas dans ses intentions d’annexer à son immense territoire un archipel situé à sept cents lieues de ses côtes. L’influence considérable qu’il y exerçait par ses missionnaires, par son commerce, ses baleiniers