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cent mots qui soient authentiquement du celte, et, pas plus que dans notre langue, l’influence celtique n’est reconnaissable dans l’histoire de notre civilisation. Nous sommes Latins, foncièrement, éminemment Latins, certainement plus Latins que les Espagnols, peut-être plus Latins que les Indiens eux-mêmes. Et le fussions-nous moins d’origine et de langue, nous le serions encore d’instinct et d’aspiration : notre histoire serait toujours celle d’une longue lutte soutenue sur le sol gaulois par l’élément latin contre le germanique ; et il serait enfin vrai que nous ne pouvons la comprendre qu’avec le secours du latin.

Ces raisons nous sont particulières : en voici de plus générales, et qui nous expliquent pourquoi, dans les pays germaniques eux-mêmes, en Allemagne ou en Angleterre, et jusqu’en Amérique, l’enseignement du latin continue d’occuper une si large place. C’est un côté de la question que M. Frary semble avoir et rangement négligé. Ne dirait-on pas à le lire que nous sommes le seul peuple au monde qui se soucie encore aujourd’hui des Scipions et des Gracques ? Nous nous attardons à contempler d’inutiles reliques ; on éleve nos enfans comme si tous les Français devaient être avocats, journalistes ou professeurs ; les lycées de la république sont toujours l’ancien collège des jésuites ; et pendant ce temps, l’Allemand nous devance, et l’Anglais nous dépasse ; leurs yeux se tournent vers l’avenir pour en deviner le secret ; ils sont déjà les ouvriers de la révolution dont nous ne savons nous préparer qu’à être les victimes. Mais la vérité, c’est qu’en attendant on apprend le latin dans les realschulen elles-mêmes de l’Allemagne ; le latin est la base de l’enseignement d’Harrow, de Rugby, d’Eton ; même on y fait jusqu’à des vers grecs ; et si l’on sait mieux le latin de l’autre côté du Rhin, c’est que l’on consacre plus de temps au latin dans les gymnases de Berlin que dans les lycées de Paris. Sans rappeler à ce propos que les antiquités de l’Allemagne et de l’Angleterre, comme les nôtres, sont en fait conservées dans des monumens latins, et indépendamment de l’utilité dont le latin peut être pour une connaissance vraiment scientifique du français et des autres langues romanes, on reconnaît donc aux classiques latins une valeur propre et absolue, qui manquerait, d’un commun avis, aux classiques anglais, allemands ou français. Ceux-ci ont leur valeur, qui est considérable, et l’on ne se fait faute, à l’occasion, de la célébrer, mais les autres en ont une autre, et pour être autre, elle n’est pas moindre, ni plus facile à suppléer.

En quoi consiste-t-elle ? C’est ici, je l’accorde à M. Frary, ce qu’il est assez malaisé de déterminer, mais non pas impossible. Il me semble bien, à la vérité, comme à lui, que, s’il fallait