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M. Frary voudrait-il nous fermer l’accès de l’Éthique et celui du Novum Organum ? ou croit-il par hasard que nous-mêmes et ceux qui nous suivront n’en aient rien à tirer ?

Autre argument : M. Frary cite quelque part ces paroles de Macaulay : « Au temps d’Henri VIII et d’Edouard VI, une personne qui ne savait pas le grec ou le latin, ne pouvait rien lire ou presque rien… Le latin était la langue des cours et des écoles ; c’était la langue de la diplomatie et de la controverse… Celui qui l’ignorait était exclu de toute familiarité avec ce qu’il y avait de plus intéressant dans les mémoires, les papiers d’état, les pamphlets du temps… » et M. Frary d’en conclure, comme Macaulay, que le latin n’étant plus tout cela, il est devenu inutile de l’apprendre. M. Frary ne fait pas attention, ni Macaulay non plus, que ce qui n’était alors que de la « littérature » est devenu de l’histoire, et une histoire où nous ne pouvons pénétrer qu’avec le secours du latin. Lui, qui veut que nous approfondissions les secrets de l’antique Égypte, consentirait-il donc que nous ignorions l’histoire du XVIe siècle ? Mais, s’il n’y consent pas, où veut-il que nous l’allions chercher ? Car c’est à peine, à qui veut étudier l’histoire de la réforme, s’il serait plus utile de connaître le français, l’italien, l’anglais, l’espagnol et l’allemand que le latin tout seul ! A plus forte raison, si nous remontons le cours du temps. Ce n’est pas seulement la langue latine, c’est le droit romain, c’est le droit canon, c’est la totalité de l’héritage enfin des institutions et des mœurs romaines qu’il faut connaître, et à fond, si l’on veut comprendre quoi que ce soit à l’histoire du moyen âge. Or, quel moyen d’y accéder sans le secours du latin ? « Depuis le jour où Clovis parut sur les bords de la Seine, dit à ce propos M. Frary, nous n’avons guère cessé de nous dépouiller de la tradition que les Latins, nos vainqueurs, nous avaient imposée. » Je pense que si M. Frary avait dit exactement, le contraire, il serait beaucoup plus près de la vérité de l’histoire. Autant que l’on puisse, en effet, hasarder de ces généralisations, toujours téméraires et toujours imparfaites, nous avons précisément travaillé, « depuis le jour où Clovis parut sur les bords de la Seine, » à reconquérir notre latinité sur nos envahisseurs germains. M. Frary dit au même endroit. : « De ce que notre civilisation est ou semble être d’origine gréco-latine, on en conclut qu’il est bon d’étudier la littérature gréco-latine… À ce compte, comme nous avons dans les veines plus de sang gaulois que de sang italien, il faudrait faire dans les programmes une large place à la connaissance des antiquités celtiques. » Mais il n’omet que de nous dire où il veut que nous prenions ses antiquités celtiques. Dans la langue française, en dépit du sang gaulois, on ne trouverait pas