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même, l’excès de son utilitarisme. Il se figure encore qu’en ajoutant l’histoire à la géographie et aux langues étrangères, « on pourra constituer un enseignement secondaire aussi élevé que l’enseignement plus classique, » plus conforme aux besoins de notre temps, mais « non pas plus dédaigneux de la beauté morale et de la poésie. » Et pour attirer à sa cause, de préférence à tous les autres, ceux-là mêmes qui naturellement y doivent être le moins favorables, il plaide « que la tradition révolutionnaire serait sans doute chez nous plus libérale si les hommes de la révolution avaient moins parlé d’Aristide et de Caton, mais mieux connu l.udlow et Hampden, Guillaume Penn et Washington… » Mais toutes ces précautions ne réussissent pas à le sauver des conséquences de ses principes ; lui-même en revient toujours à la question d’utilité immédiate et directe : depuis plus d’un mois que son livre a paru, personne n’en a pris ni compris autrement l’esprit ; et puisque jusqu’ici c’est de quoi surtout on l’a loué, M. Frary ne s’étonnera pas que ce soit à notre tour ce que nous lui reprocherons. Si la forme en est d’un écrivain et parfois, souvent même, d’un excellent écrivain, le fonds de ce livre est d’un barbare, et je vais essayer d’en faire convenir l’auteur.

Pour discuter de l’éducation, peut-être ici pensera-t-on qu’il n’est pas superflu de s’entendre d’abord sur l’objet même de l’éducation. Vous rappelez-vous ce personnage d’un roman de Dickens, Thomas Gradgrind, dans les Temps difficiles, et sa théorie de l’éducation ? » Ce que je veux, ce sont des faits. Enseignez des faits à ces garçons et à ces filles, rien que des faits. Les faits sont la seule chose dont on ait besoin ici-bas. Ne plantez rien autre chose en eux, déracinez-moi tout le reste. Ce n’est qu’avec des rails que l’on forme l’esprit d’un être raisonnable. Tout le reste ne lui servira jamais de rien C’est d’après ce principe que j’élève mes propres enfans… Attachez-vous aux faits, monsieur, » Conformément aux principes de Thomas Gradgrind, on croit ou l’on parait croire aujourd’hui que l’objet propre de l’éducation serait effectivement de meubler les mémoires, de les meubler utilement, de les approvisionner pour la vie de connaissances positives, de chiffres et de faits ; on s’inquiète beaucoup moins d’assouplir, d’ameublir, pour ainsi parler, et de façonner les intelligences. Tout est là cependant, et rien que là peut-être. Car les érudits auront beau faire : il ne sera jamais si honteux de ne pas savoir et que Thoutmosis était valétudinaire, et qu’il tenait cette complexion de son aïeul Alipharmutotis ; » en dépit des savans, on pourra toujours, sans grands inconvéniens, ignorer jusqu’à l’existence même du Ptérodactylus spectabilis ou de l’Arçhœopteryx lithographica ; et quoi qu’en dise