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commerce des débouchés nouveaux, prendre pied dans l’Océan-Pacifique, la perspective était trop tentante pour y résister. Les sociétés religieuses de la Nouvelle-Angleterre se disputaient l’honneur d’évangéliser les îles ; les armateurs de New-Bedford et de New-Haven devinaient les avantages que leur offraient les ports de l’archipel havaïen, situés à peu de distance des nouvelles pêcheries et où leurs navires devaient trouver un hivernage facile et des vivres abondans. Les négocians de New-York, dont l’esprit d’entreprise grandissait avec le succès, aspiraient à ouvrir de nouveaux marchés à leurs produits ; le gouvernement des États-Unis, enfin, sorti à son avantage de la guerre qu’il venait de soutenir, en 1812, avec l’Angleterre, tenait à honneur de devancer sa rivale et d’étendre au loin son influence politique. Le sentiment religieux, l’instinct commercial, L’ambition patriotique se réunissaient donc pour favoriser une tentative à laquelle les fonds, la sympathie et le dévoûment ne firent pas défaut un instant.

Fidèles à leurs traditions, les missionnaires américains se préoccupaient avant toute chose de l’éducation. L’école était le vestibule du temple. Sur tous les points où ils s’établirent, ils fondèrent des écoles publiques et gratuites. La première, créée à Honolulu, était destinée aux enfans des chefs. Emma y fut admise de droit et élevée avec les héritiers du trône, le prince Lot Kaméhaméha, né en 1831 ; son frère, Alexandre Liholiho, né en 1834 ; et leur sœur, la princesse Victoria. Elle y apprit moins l’anglais, qu’elle savait parfaitement, que l’histoire, la géographie, le piano, le dessin, et y reçut l’éducation que l’on donnait alors aux jeunes filles de Boston et de New-York.

Kaméhaméha II n’avait fait que passer sur le trône. Kaméhaméha III lui avait succédé et marchait dans la voie tracée par son ancêtre. Sous lui, les missionnaires étaient maîtres ; ils gouvernaient en son nom sans rencontrer de résistance, réformant les mœurs à coups de décrets, faisant sur cette terre nouvelle et sur cette race, avide de civilisation et essentiellement maniable, l’essai longtemps caressé d’un gouvernement théocratique et libéral. Érigeant la Bible en code, à la fois éducateurs, législateurs et administrateurs, forts de la droiture de leurs intentions et de la sincérité de leurs convictions, ils n’admettaient aucun de ces tempéramens que suggère le maniement d’intérêts complexes et qu’impose un état de transition, un trente années, ils amenèrent le peuple havaïen de la barbarie à la civilisation ; ils lui enseignèrent l’usage des vêtemens, leur langue, leur foi, leurs idées ; ils lui imposèrent la monogamie, l’abstinence des liqueurs fortes ; ils lui apprirent ses