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qu’elle avilit toujours celui qui la reçoit, il n’en demeure pas moins certain que c’est de toutes les façons de pratiquer la charité la moins recommandable, peut-être parce que c’est celle qui coûte le moins. Pour moi, j’entends le mot d’une façon plus large et plus haute : j’appelle charité l’esprit de dévoûment et de sacrifice. Or du dévoûment et du sacrifice, l’humanité ne se passera jamais, Ainsi comprise, il n’y a point d’institution utile dont la charité ne soit le principe. On la retrouve, je crois l’avoir montré, mêlée à toutes celles que l’on considère comme des inventions de l’esprit moderne, car il ne lui est pas défendu d’être intelligente, prévoyante et préventive. Aussi est-ce une conception trop étroite de son rôle social que d’en faire uniquement une vertu chrétienne et mystique qui serait en quelque sorte la parure des belles âmes. L’honneur du christianisme et la marque de son excellence, c’est d’avoir porté cette vertu à son plus haut degré de développement, comme il a porté toutes les autres, et souvent sa divine influence fait fleurir ce germe dans un sol ingrat où il aurait été étouffé comme le bon grain sous l’ivraie. Mais la charité est quelque chose de plus ; c’est une loi éternelle qui paraît destinée, dans le plan divin, à corriger en partie les conséquences les plus rigoureuses de l’inégalité des conditions. Si à cette loi tous les hommes prêtaient obéissance, la question sociale serait pour le coup bien près d’être résolue, et, sans que la misère disparût pour cela complètement de la surface du monde, il est certain, cependant, qu’elle perdrait son caractère le plus aigu, Aussi, — et c’est à cette conclusion dernière que j’en voulais arriver, — de tous les remèdes contre la misère, le plus efficace sera-t-il toujours de donner : donner non pas seulement de son argent, ce qui n’est pas possible à tout le monde et doit, en tout cas. être fait le plus rarement possible sous la forme d’aumône directe, mais donner de son temps, de sa sollicitude, de son cœur, de soi-même enfin ; il faut donner, donner beaucoup. Oserai-je ajouter que l’accomplissement de ce grand devoir social serait également le meilleur remède à cette rechute de pessimisme dont les générations nouvelles sont ou se croient si fort atteintes ? Il se peut, en effet, qu’ici-bas tout soit vanité (depuis l’Ecclésiaste cela a été même répété quelquefois), sauf l’effort tenté pour soulager la souffrance d’autrui. Sans doute, il y aura toujours loin de la condition humaine, même ainsi améliorée, à cet idéal de justice et de bonheur dont l’esprit a besoin, dont le cœur a soif ; mais la distance if est-elle pas aussi grande entre la cime du monument humain le plus élevé et la plus proche des étoiles qui parsèment la voûte des cieux ?


HAUSSONVILLE.