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doués était favorisée et celle des mieux doués entravée, une dégradation progressive de l’espèce s’ensuivrait, et cette espèce dégénérée céderait la place aux espèces avec qui elle se trouverait en lutte ou en compétition. »

N’hésitons pas à le reconnaître. Au point de vue auquel il se place, M. Herbert Spencer a raison. L’humanité n’étant considérée que comme une espèce produite par l’évolution d’espèces antérieures dont elle a triomphé, et menacée de succomber dans la lutte avec d’autres espèces, on ne saurait apporter trop de soins à en fortifier le type. Partant, toutes ces mesures à l’aide desquelles on s’efforce de prolonger la vie des faibles, ce qui leur permet la reproduction, ou même de soulager leurs souffrances, ce qui retarde leur élimination fatale, sont d’abord inutiles et de plus inintelligentes, nuisibles et contraires au bien général. Mais n’est-ce pas là du même coup porter une condamnation formelle contre la charité, contre l’assistance, en un mot, contre toutes les mesures qui tendent à venir en aide à ces incapables, à ces imprudens, à ces faibles ? Le strict devoir social n’est-il pas de les abandonner à toutes les conséquences de leur incapacité, de leur faiblesse, de leur imprudence ? Tout ce qui rend plus difficile aux forts d’écraser les faibles n’est-il pas contraire à la loi du progrès ? La déduction est rigoureuse, et comme les doctrines de M. Herbert Spencer comptent aujourd’hui beaucoup de sectateurs, comme il n’y a guère d’esprit se piquant d’indépendance qui ne se pique également de transformisme et de sociologie, j’avais, je crois, raison de dire que ceux-là sont pour la charité des adversaires plus dangereux qu’une certaine école d’économistes, un peu légère en ses affirmations.

A la vérité, cette conclusion extrême de la sociologie n’est pas adoptée par tous les disciples de M. Herbert Spencer. Quelques-uns d’entre eux se révoltent contre son inexorable dureté. Tel est, en particulier, le cas de M. Fouillée, dont tout le monde a encore présentes à l’esprit les savantes études publiées ici même, et, en particulier, l’article sur la philanthropie scientifique au point de vue du darwinisme. M. Fouillée est trop épris de sociologie pour ne pas parler avec sévérité de « l’antique charité » et de « ses inconvéniens moraux et physiologiques. » Mais, après avoir condamné à mort la charité, il ne tarde pas à lui permettre de renaître en la baptisant d’un nouveau nom : celui de justice réparative et contractuelle. De par la justice réparative, l’homme serait tenu de rétablir les conditions normales du contrat social, et la philanthropie, en développant chez lui les penchans altruistes (encore un mot que la sociologie nous impose), le prépare à s’adapter à son milieu futur qui sera, si l’on en croit les assurances de M. Fouillée, « le règne de la fraternité et de la justice. » Certes, la théorie est élevée autant qu’ingénieuse, et