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vices qui ont leurs racines au plus profond de la nature humaine, et tant que ces vices, paresse, imprévoyance, prodigalité, débauche, exerceront leur empire, la misère comptera encore une armée nombreuse de tributaires. Sans doute on peut espérer d’en voir progressivement diminuer le nombre, bien qu’à vrai dire, rien n’autorise, quant à présent du moins, cette espérance, mais il serait parfaitement chimérique d’en rêver la disparition totale.

Enfin à ces causes individuelles de misère se joignent les grandes perturbations, qui, à intervalles plus ou moins distans, mais jamais bien éloignés, viennent apporter le désordre dans la vie économique d’un peuple et l’atteignent comme un fléau. De ces fléaux le plus redouté était autrefois la famine, qui naissait de la disproportion entre la production d’un pays et ses besoins alimentaires. La facilité des moyens de transport jointe aux avantages de la liberté commerciale, a soustrait les peuples civilisés à cette calamité, qui, aujourd’hui encore, éprouve parfois si durement les nations barbares. Mais, d’autre part, les liens étroits que la civilisation a créés entre les différentes nations du globe, en les rendant solidaires, rendent aussi plus fréquentes les épreuves auxquelles elles sont soumises, chacune d’entre elles subissant le contre-coup de la destinée des autres. C’est ainsi, par exemple, qu’il y a plusieurs années une crise effroyable a éclaté en Normandie et dans le Lancashire, parce que le conflit élevé aux États-Unis entre les états du Nord et ceux du Sud avait suspendu la production du coton. Que demain L’Angleterre et la Russie, la baleine et l’éléphant, se prennent de querelle à propos de l’Afghanistan ou de la Bulgarie, et qu’une lutte de plusieurs années s’établisse entre elles, il n’y aura pas une nation en Europe qui, à la longue, ne se trouve atteinte par la prolongation de cette lutte dans quelque intérêt vital.

En plus de ces perturbations violentes, causées par des accidens extérieurs, les sociétés à organisation complexe nom sujettes à des crises économiques que les erreurs de la politique intérieure viennent parfois aggraver, mais dont les moindres imposent de dures souffrances à toute la masse des travailleurs. Presque toujours à une période de prospérité succède une période de gêne amenée par l’excès irréfléchi de la production qui a dépassé les besoins de la consommation. Le premier résultat de cette surproduction est un avilissement des prix et un abaissement des salaires, le second une réduction du travail et un chômage plus ou moins général. C’est là une des calamités les plus grandes qui puissent fondre sur la classe ouvrière, précisément parce qu’étant générale elle est sans remède ; et c’est une singulière illusion de se figurer qu’au chômage involontaire une législation quelconque puisse porter remède. Or ces crises économiques sont