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Donicum eos vita privarunt vermin sæva,
Expertes opis, ignaros quid vulnera vellent.


Ne nous donnons point le plaisir d’une démonstration trop facile en cherchant un point de comparaison dans ce tableau horrible de la condition primitive de l’humanité, qui est encore aujourd’hui celle d’un grand nombre de peuplades barbares. Restons dans l’intérieur des sociétés civilisées, dans les limites de notre propre pays et ne prenons même pas comme point de rapprochement deux périodes trop éloignées. Je ne crois pas qu’à moins d’apporter dans ces questions un parti-pris invincible, on puisse sérieusement contester que, depuis deux siècles par exemple, une amélioration sensible n’ait été réalisée, du haut en bas de l’échelle, dans la condition de tous les Français et qu’à égalité de situation sociale chacun ne soit aujourd’hui mieux nourri, mieux vêtu et mieux logé que ne l’étaient ses pères. Je voudrais rendre ma pensée sensible par quelques exemples. Ainsi, il y a aujourd’hui un retour marqué de la mode vers les demeures d’autrefois qu’on restaure à grands frais dans le style du temps. Mais quel est le riche financier qui, après avoir acheté un château construit sous Louis XIV, inviterait ses amis à y demeurer, fût-ce une semaine, dans les conditions où nos aïeux y habitaient autrefois, et qui ne commencerait par y dépenser une centaine de mille francs pour le rendre plus confortable ? Parcourez maintenant le premier village venu ; si vous voyez à côté l’une de l’autre deux maisons : l’une basse, avec un toit de chaume, des fenêtres étroites, une porte qui ferme mal, un trou à fumier devant le seuil ; l’autre avec un toit en ardoises ou en tuiles, un grenier, des fenêtres à rideaux, un petit jardin et une grille en fer, vous avez sous les yeux la maison du paysan d’autrefois et celle du paysan d’aujourd’hui, peut-être celle d’un père et de son fils. Des progrès non moins considérables ont été accomplis dans le régime alimentaire du peuple, principalement de l’ouvrier des villes, qui consomme aujourd’hui une beaucoup plus grande quantité de viande, de vin et de mets de toute sorte qu’il ne consommait autrefois. Descendons maintenant encore un degré de l’échelle sociale. Il y avait autrefois une expression caractéristique par laquelle nos pères désignaient les pauvres : on les appelait des va-nu-pieds. Traversez, aujourd’hui la France du nord au sud, de l’est à l’ouest, fouillez les bas-fonds des grandes villes, combien rencontrez-vous de gens marchant habituellement sans bas ni souliers ? Infiniment peu. L’expression aujourd’hui n’a plus de raison d’être : c’est au point que si l’on devait juger du nombre des pauvres par celui des va-nu-pieds, on pourrait croire qu’il n’y en a presque pas, ce qui serait une grande illusion. Toutes les classes de la société les plus élevées comme les plus