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lorsque déjà le chômage forcé aura réduit le gain de l’ouvrier. C’est donc pendant la phase la plus aiguë du mal que le remède perdra son efficacité. Aussi, tout en faisant des vœux pour que le système reçoive des applications de plus en plus fréquentes, sans être cependant dénaturé et par cela même compromis, il faut cependant, convenir que, dans le combat contre la misère, c’est une arme sur la solidité de laquelle il ne faudrait pas trop compter.


III

Arrivé au terme de ces trop longues et cependant bien incomplètes études, où je me suis efforcé de passer en revue les principaux moyens de combattre la misère, je sens la nécessité de répondre à une objection que mes rares lecteurs m’ont adressée quelquefois. » Vers quel but tendez-vous, a-t-on pris la peine de me dire ou parfois même de m’écrire, et quel a été votre dessein en abordant ces arides sujets ? Vous avez commencé par attrister nos imaginations et nos cœurs en nous promenant à travers les plus noires demeures de la misère ; vous nous avez décrit sous les couleurs les plus sombres la condition matérielle des classes pauvres et aussi leur condition morale ; vous nous les avez montrées en proie à toutes les souffrances, exposées à toutes les corruptions, et vous n’avez pris soin de nous épargner aucun détail pénible ou répugnant. Puis, lorsque nous attendions de vous quelques conclusions pratiques et quelques indications consolantes, vous vous êtes en quelque sorte dérobé. Toutes les fois que vous nous avez parlé d’un remède, vous avez semblé prendre un triste plaisir à nous convaincre de son inefficacité. Vous nous avez successivement démontré l’illusion des corporations et des syndicats mixtes, l’insuffisance de l’épargne et de la mutualité, la chimère de la coopération, les difficultés de la participation aux bénéfices. Mais, à ce compte, quel est le remède que vous recommandez, ou, s’il n’y en a point qui vous inspire confiance, était-ce bien la peine de nous entretenir de toutes ces tristesses et de remuer tous ces problèmes pour conclure, en fin de compte, à quoi ? Au désespoir ? »

Telle est l’objection, et, pour ne la point affaiblir, je l’ai reproduite, à peu de chose près, dans les termes mêmes où elle m’a été adressée. J’en sens toute la gravité ; j’essaierai cependant d’y répondre, mais je ne puis le faire qu’en établissant une distinction, à mes yeux capitale, entre les remèdes et le remède. Les remèdes, ils sont partout dans toutes ces tentatives, dans toutes ces institutions dont j’ai parlé et dont il n’est aucune qui ne contienne sa part d’utilité : dans les associations, qui resserrent les liens des hommes entre