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trois ou quatre mille distribuera péniblement un dividende de 5 pour 100. Il faut donc avoir le courage de le dire : la participation aux bénéfices paraît difficilement applicable dans la grande industrie, ou du moins si on tente de l’appliquer, les effets en seront peu sensibles, la part de bénéfices distribuée à chaque ouvrier devant nécessairement demeurer très faible.

On cite, il est vrai, comme exemple d’une heureuse application de la participation aux bénéfices dans la grande industrie, la compagnie d’Orléans, la papeterie de M. Laroche-Joubert, à Angoulême, et le grand établissement fondé à Guise par M. Godin sous le nom de Familistère. Mais il faut aller au fond des choses et ne pas se payer d’apparence. La compagnie d’Orléans, aux excellentes fondations de laquelle j’ai déjà en l’occasion de rendre hommage, ne pratique plus, en réalité, le système de la participation aux bénéfices, et cela précisément depuis que ses conventions avec l’état ont eu pour résultat de l’obliger à augmenter son personnel, tout en diminuant ses bénéfices. Elle se borne aujourd’hui à opérer à la Caisse des retraites pour la vieillesse un versement qui s’élève à 10 pour 100 du traitement de chaque employé, et ce versement, tout à fait indépendant des bénéfices de la compagnie, est devenu, ainsi que le disait son directeur, M. Sevène, devant la commission d’enquête extraparlementaire, « un chapitre fixe de ses dépenses. » Quant à la papeterie d’Angoulême, son fondateur, M. Laroche-Joubert, l’a très ingénieusement divisée en un grand nombre de petits ateliers, et ce n’est pas aux bénéfices généraux de sa maison, c’est aux bénéfices particuliers de chacun de ses ateliers qu’il associe ses ouvriers et employés dans une proportion qui varie de 5 à 35 pour 100, suivant que l’influence de la main-d’œuvre est plus ou moins grande sur les résultats de la production. Ceux-ci sont donc, en réalité, plutôt associés aux bénéfices de plusieurs petites que d’une grande industrie. D’ailleurs, une partie du bénéfice ainsi distribué aux ouvriers et employés retourne à la maison, dont ils deviennent commanditaires, et le patron retrouve ainsi, sous une forme indirecte, une part du sacrifice considérable consenti par lui. Enfin l’organisation du Familistère de Guise mériterait une étude à part, mais il est difficile de trouver un exemple qui soit à la fois plus à l’honneur de celui qui l’a donné et cependant moins convaincant : « Pour rendre hommage à Dieu, être suprême, source et principe universel de la vie, pour glorifier la vie elle-même et pour servir à l’avènement de la justice parmi les hommes,.. » (tel est le préambule des statuts du Familistère de Guise) M. Godin a fondé avec ses ouvriers une association où il a apporté, en immeubles et capital, une somme de 4,600, 000 francs, où ses ouvriers n’ont apporté que leurs bras, et