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exiger la communication, et que le patron devra être cru sur sa simple affirmation lorsqu’il dira : Le bénéfice net de mes opérations s’élève à telle somme ; ou : Il n’y a pas de bénéfice du tout. Il en est ainsi, quoi qu’on en dise, même dans les très rares sociétés par actions qui ont adopté le principe de la répartition des bénéfices. En effet, si les comptes et le bilan de ces sociétés sont soumis à une certaine vérification, par qui cette vérification est-elle exercée ? Est-ce par des délégués des ouvriers ? En aucune façon. C’est par les commissaires des comptes, c’est-à-dire par des délégués des actionnaires ; or les actionnaires ne sont pas eux-mêmes autre chose que des patrons associés. C’est donc bien toujours et partout le patron qui fixe le chiffre du bénéfice réalisé, sur lequel un certain prélèvement doit être opéré au profit du personnel salarié, et qui le fixe seul, sans contrôle, d’une façon nécessairement arbitraire. Il n’en saurait être autrement. Quel est, en effet, le chef d’industrie qui voudrait s’engager à distribuer tous les ans la totalité de son bénéfice, c’est-à-dire qui renoncerait à amortir plus ou moins rapidement son capital, à augmenter son outillage, ou à constituer des réserves pour les mauvais jours ? Pas un patron sérieux ne renoncera jamais à ce droit. Or comme, en réalité, il dépendra toujours de lui d’établir sa comptabilité de telle façon que le bénéfice à distribuer ressorte à telle ou telle somme, ou même qu’il n’y ait pas de bénéfice du tout, ce sera toujours de sa volonté et de sa volonté seule, que dépendra la participation des ouvriers à un bénéfice quelconque. C’est là, on en conviendra, une stipulation non moins étrange, comme avantage attribué au patron que ne l’était tout à l’heure l’exemption de toutes pertes comme avantage attribué à l’ouvrier. Si l’on voulait au reste attribuer à la participation aux bénéfices le caractère de ce qu’on nomme en droit civil un contrat synallagmatique, il faudrait juger de la validité de ce contrat d’après les principes du droit. Or ce qu’on appelle dans la langue juridique, le contrat léonin, c’est-à-dire le contrat qui attribue tout l’avantage à l’une des deux parties contractantes, n’est pas plus valable que la condition dite purement protestative, c’est-à-dire dont l’accomplissement dépend uniquement de la volonté d’une des parties, et il est probable que les tribunaux consultés (au reste, le cas s’est déjà présenté) prononceraient la nullité de l’une ou de l’autre clause.

Au contraire, si on reconnaît à la participation aux bénéfices le caractère d’une simple libéralité du patron, toutes ces stipulations qui semblent étranges dans un contrat s’expliquent de la façon la plus naturelle. Les ouvriers sont associés aux bénéfices et ne sont pas associés aux pertes. Comment en pourrait-il être autrement ? Le patron a voulu améliorer leur condition ; il ne saurait lui venir à la