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commission d’enquête ont tenu, à peu d’exceptions près, le langage d’hommes très sensés, très positifs en affaires et nullement portés aux utopies, Ce langage repose de celui qu’on entend trop souvent dans les congrès ouvriers ou dans les réunions publiques, et montre une fois de plus combien on aurait tort de juger la classe ouvrière d’après un petit noyau d’hommes, — toujours les mêmes, — qui parlent en son nom et par lesquels elle a malheureusement la faiblesse de se laisser représenter. Encore même ceux-là qui viennent déposer devant les commissions d’enquête (et c’est là une observation très juste faite par le président de la chambre de commerce de Paris, M. Dietz-Monin) ne représentent-ils pas toujours l’élément le plus paisible et le plus laborieux de la classe ouvrière. Derrière eux, il y a toute une catégorie d’ouvriers qui n’ont ni le goût ni le temps de venir déposer devant les commissions. Ceux-là travaillent leurs six jours de la semaine, gémissent des grèves et ne déclament ni contre la société, ni contre le salaire, ni contre leurs patrons. Mais, même dans cette catégorie un peu plus remuante des déposans, il est impossible de ne pas constater également un réel progrès dont il faut se réjouir. La coopération a été pour eux une excellente école. Elle les a initiés aux difficultés de la production et leur a appris qu’il un suffisait pas toujours d’être patron pour gagner de l’argent et dormir tranquille. Elle leur a appris également qu’à une seule condition les sociétés coopératives pouvaient réussir, c’était d’être administrées comme toutes les autres sociétés commerciales. Une des principales causes qui ont amené sous l’empire l’échec des sociétés coopératives, c’est que leurs adhérens entendaient faire de chacune d’elle une république, selon le régime, alors en faveur, de l’amendement Grévy, c’est-à-dire sans président. Dans les unes, il n’y avait pas de gérant ; dans les autres, le gérant devait être changé tous les six mois ; ceux dont les pouvoirs avaient une plus longue durée se voyaient, par les statuts, resserrés dans des limites si étroites, qu’en réalité ils ne pouvaient rien gérer du tout. Les sociétés coopératives de création récente ont suivi un tout autre système. Elles n’ont pas hésité à investir les hommes qu’elles ont mis à leur tête des pouvoirs les plus étendus. Le délégué d’une de ces sociétés, expliquant devant la commission d’enquête l’organisation et les pouvoirs du conseil de gérance qu’il présidait, a qualifié ainsi le système : « En somme, c’est la république autoritaire. » Et comme le président de la commission s’écriait, avec une vertueuse indignation : « Vous trouvez cela bon ? » L’ouvrier répondit avec sang-froid : « Puisque c’est la seule possible ! »

Une autre conséquence non moins remarquable de ce changement dans l’état des esprits, c’est que, à la différence de leurs