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rapport à l’ensemble de la population ouvrière parisienne, et c’est là une première constatation qui a son intérêt.

D’après ce même document, les sociétés coopératives exercent les métiers les plus variés, et il semble au premier abord que l’instrument soit assez souple pour se prêter à tous les genres d’industrie. Mais, en y regardant de près, on s’aperçoit que la formation de ces sociétés n’est possible qu’à la double condition d’une grande prépondérance de la main-d’œuvre et d’une immobilisation de capital assez faible. Toutes appartiennent à la petite ou à la moyenne industrie, aucune à la grande, et cette seule observation suffirait à montrer combien, même en mettant toute chose au mieux, la coopération est une solution insuffisante pour améliorer la condition de la plus grande partie des travailleurs. Comment en serait-il autrement, et comment la coopération pourrait-elle être applicable dans la grande industrie, alors que la puissance d’un établissement, industriel est en raison directe du capital engagé et que les sociétés coopératives les plus prospères n’ont jamais pu réunir un capital de plus de 200 à 500,000 francs ? Une seule, celle des lunetiers, qui date de 1849, possède un capital versé de 1,300,000 francs. Le capital d’un très grand nombre d’autres n’atteint pas 20,000 francs et descend parfois jusqu’à 4 ou 5,000 francs. Or, il n’est guère de petit marchand dont le fonds de commerce et de roulement réunis n’atteignent à cette somme. L’ensemble des capitaux engagés dans les sociétés coopératives ne passe pas, au surplus, 5,480,000 francs. Il y a donc une certaine exagération dans cette expression : l’ampleur du mouvement coopératif, dont se sert, dans un travail au reste très intéressant et, très substantiel, l’honorable M. Barberet, rapporteur de la commission d’enquête extra parlementaire et chef du bureau des associations professionnelles. N’était même l’intérêt qui s’attache à l’idée coopérative elle-même, personne ne songerait assurément à s’inquiéter des résultats d’une aussi modeste tentative. Si peu concluans qu’ils puissent être, ces résultats sont loin, cependant, d’être décourageans.

Constatons d’abord que quelques-unes de ces sociétés datent des dernières années de l’empire et même de la république de 1848. Ce sont précisément les plus prospères. Il n’y a donc dans l’idée de la coopération elle-même, c’est-à-dire dans la vente directe de leurs produits par les ouvriers, rien qui conduise fatalement à l’insuccès. Tout dépend de la façon dont les affaires sociales sont gérées, À ce point de vue, et par comparaison aux essais antérieurs, de grands progrès ont été certainement réalisés par les ouvriers, qui se sont repris à espérer en l’avenir de la coopération. Ceux d’entre eux qui sont venus déposer devant la