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remises de faveur et leur ont procuré une prospérité un peu factice, Mais certaines sociétés se sont, d’autre part, formées spontanément en dehors de toute ingérence officielle, et cela, chose curieuse, sous l’impulsion d’ouvriers qui voulaient se soustraire à la tyrannie non pas de leurs patrons, mais de leurs camarades : « C’est au moment de la grève que nous nous sommes constitués, a déclaré devant la commission d’enquête extra parlementaire le délégué de l’association coopérative des charpentiers de La Villette. Nous n’étions pas au nombre des charpentiers qu’on voyait alors dans les réunions ; nous gagnions presque tous 1 franc par heure. Nous étions forcés de faire grève par amour-propre. Nous ne savions où on voulait nous mener… Nous nous sommes dit : « Il faut tout de même travailler. » On a parlé d’une association et aussitôt nous avons pensé à nous constituer ; nous avons pensé qu’il fallait faire cela le plus tôt possible : en huit jours, nous nous sommes constitués sans bien comprendre ce que nous entreprenions, et notre capital de 30,000 francs était versé. »

Voici maintenant l’histoire de la coopération typographique racontée par son directeur : « J’ai L’honneur d’être prote à la Petite République française ; une partie des ouvriers que j’avais embauchés ne faisaient pas partie du syndicat typographique de la rue de Savoie, dont les règlemens ne conviennent pas à tout le monde. Un beau jour, on est venu sommer l’administration de la Petite République française de renvoyer ses ouvriers. J’ai répondu que les ouvriers ne travaillaient pas au-dessous du tarif, qu’ils avaient toujours fait leur devoir et qu’il n’y avait pas de raison pour les renvoyer. Immédiatement sommation d’avoir à exécuter ce que demandait le syndicat de la rue de Savoie, qui menaçait de faire vider les ateliers par ses adhérens. Dans cette situation, je dus prendre des hommes qui n’appartenaient à aucun syndicat et je leur montrai que pour éviter toutes ces difficultés, il n’y a qu’un moyen : la coopération. Ce fut le point de départ de notre association. » Et il ajoutait ces paroles bien curieuses, parce qu’elles jettent une singulière lumière sur ce qui se passe parfois dans le sein des corporations : » Quel était le résultat de ces grèves ? un ouvrier pendant dix ans était resté dans la même imprimerie ; il avait acquis par son assiduité et son travail la confiance de son patron et était arrivé au grade de metteur en page : tout à coup une grève survenait. Il était obligé de partir sous peine de forfaire à la corporation. »

Ainsi, le désir de se soustraire à la tyrannie de leurs camarades a en peut-être autant de part que les encouragemens officiels dans la renaissance des sociétés coopératives. À ces deux causes il en faut ajouter une troisième : c’est le concours que ces sociétés ont trouvé dans un établissement financier de création récente : la Caisse