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à qui l’état ne donnait ni vivres, ni armes, ni solde. A tous les termes de ce parallèle entre l’ancien ordre des choses et le nouveau, on trouverait à faire les mêmes réflexions. Le roi mérovingien est le juge suprême, mais il ne faut pas trop se fier à la formule solennelle qui le montre siégeant entouré « de ses pères les évêques, de ses grands, de ses référendaires, de ses domestiques, de ses sénéchaux, de ses chambellans, de ses comtes du palais et de la foule de ses fidèles, » car nombre de crimes énormes et publics et ont été commis sans encourir une répression, et l’on voit souvent le roi procéder par exécutions sommaires. Quant aux appels, le nombre en était réduit par l’usage des épreuves judiciaires, desquelles il ne pouvait être appelé, puisque Dieu lui-même était réputé avoir prononcé ; d’ailleurs l’appel était rendu à peu près impossible par les désordres et les guerres civiles : le roi mérovingien n’est donc pas un juge au même degré que l’empereur. Enfin, s’il est vrai qu’il soit un législateur, quelle chose misérable que la législation mérovingienne !

Il est tout simple que les barbares aient pris les formes anciennes du gouvernement, puisqu’ils n’avaient aucune idée qui leur appartînt d’un gouvernement nouveau. Leurs sujets les ont appelés maîtres, excellences, sérénités, majestés ; leurs évêques les ont salués délégués et représentans de Dieu : on aime toujours à s’entendre dire ces choses-là, et on les comprend vite ; aussi les ont-ils comprises. Ils ont trouvé un système d’impôts tout organisé, très productif ; il est naturel qu’ils l’aient gardé le plus longtemps possible. Si peu clerc que l’on soit dans la science politique, on sait toujours mettre la main sur une caisse. Mais les rois francs ne pouvaient pénétrer la nature intime du gouvernement romain. On ne s’improvise pas princeps ; du jour au lendemain. Le princeps et ses sujets avaient été formés par une transmission séculaire de sentimens et d’idées qui étaient tout neufs pour des Mérovingiens. Ceux-ci ont été séduits par des apparences ; ils s’en sont enveloppés, comme ils se couvraient des ornemens romains ; mais j’imagine que le roi Clovis, le jour où il se para des insignes envoyés de Constantinople, aurait fait à l’empereur l’effet d’un paysan malhabile à porter les ornemens des clarissimes. Dans les formes du gouvernement impérial, comme dans les vêtemens romains ; les Mérovingiens sont endimanchés.

Il est pourtant une tradition du gouvernement impérial qu’ils ont conservée. L’union de l’état et de l’église a duré : elle est même devenue plus étroite. Le roi est le grand électeur des évêques. Les règles canoniques étaient pourtant précises : un évêque devait être élu par le clergé et par le peuple, puis agréé par le roi, enfin consacré par le métropolitain qu’assistaient les évêques de la