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du droit, c’était l’état de paix ; or, c’était le roi qu’ils chargeaient de faire observer le droit et d’assurer la paix. Ils lui donnaient ainsi la haute fonction d’un protecteur de son peuple. Les Germains d’ailleurs obéissaient à cet instinct naïf qui pousse les hommes à élever au-dessus du commun la personne de leur chef afin de s’expliquer à eux-mêmes leur obéissance : ils croyaient que leurs rois descendaient de leurs dieux. La famille royale était trop mêlée au peuple et on la voyait de trop près pour que le roi fût l’objet d’un culte à la façon des monarques orientaux, et il arriva plus d’une fois que l’on crut pouvoir se passer de lui : ainsi les Hérules massacrèrent un jour leurs princes et ils essayèrent de vivre sans roi, mais ils se repentirent bien vite, et alors, ne croyant point qu’il leur fût permis d’élever le premier venu à la dignité suprême, ils envoyèrent des ambassadeurs dans une île lointaine où s’était établie une de leurs colonies, afin qu’ils ramenassent un membre de la famille sacrée. Chez d’autres peuples, la personne auguste a été souvent maltraitée : les Burgondes tuaient leur roi quand ils avaient été battus ou que la moisson avait été mauvaise, mais cela prouve qu’ils lui prêtaient la puissance de vaincre leurs ennemis et les élémens, comme font ces paysans qui fustigent la statue d’un saint pour le punir de n’avoir pas veillé sur la récolte. La preuve que le roi était en dehors et au-dessus du droit commun, c’est que sa vie n’était pas estimée, à l’exception d’une seule loi barbare, dans le tarif du wergeld : on la croyait trop précieuse pour être évaluée en argent. Le roi anoblissait, pour ainsi dire, ce qu’il touchait ; sa faveur élevait un homme libre au-dessus de ses concitoyens et même un esclave au-dessus d’un homme libre ; devenir le convive du roi, cela triplait la valeur d’un homme. Protecteur de tout son peuple, le roi pouvait accorder une protection particulière à des personnes, qui devenaient tout de suite privilégiées. Son autorité, bien qu’elle fût contredite et limitée par toutes de résistances, n’était donc pas définie nettement ; il s’y mêlait une sorte de droit vague que les circonstances pouvaient faire redoutable.

Le princeps romain n’est pas comme le roi germanique au début d’une histoire : son pouvoir est la conclusion de la longue histoire de la cité romaine. En aucun temps, cette cité n’a ressemblé au petit état germanique appelé civitas par les écrivains latins, qui ont l’habitude d’assimiler les institutions étrangères et les leurs, alors même que l’assimilation n’est pas légitime. Il est vrai qu’en Germanie comme à Rome le point de départ de l’organisation politique a été la famille, mais le passage de la famille à l’état s’est fait très vite dans l’étroite enceinte de la cité romaine : il ne s’est jamais achevé chez les paysans germains, disséminés en maisons isolées ou répartis dans de vastes villages. Le peuple germanique