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beaucoup d’esprits. Certains écrivains allemands sont portés à n’accuser que la civilisation romaine ; ils en font un tableau effrayant dont ils empruntent les couleurs à Salvien. Obligés de reconnaître que les Francs, s’ils ont été des disciples, ont bien vite égalé leurs maîtres, ils s’autorisent du témoignage d’un Byzantin pour dire que ce peuple faisait exception parmi les Germains par sa méchante nature. Certes il serait aisé de défendre la Gaule romaine contre Salvien, ce prêtre marseillais du Ve siècle, qui a suivi le penchant ecclésiastique à trouver dans les choses humaines l’abomination de la désolation, et de montrer chez d’autres barbares que les Francs la perfidie, la violence et les débauches ; mais à quoi bon ? Nous sommes en présence d’un phénomène connu : quand deux peuples, dont l’un est plus civilisé que l’autre, entrent en contact, ils commencent par échanger leurs vices, et il est naturel que les Romains aient appris des Francs la violence et qu’ils leur aient enseigné l’usage du luxe et le raffinement dans le vice. Au reste, nous savons déjà une autre raison d’écarter comme oiseuse la querelle des défenseurs de Rome et des admirateurs de la Germanie : ce ne sont point de vrais Germains ni de vrais Romains qui sont en présence. C’est parce que les uns et les autres ont perdu leur caractère propre et leurs mœurs anciennes qu’ils se rapprochent si aisément. Quand les hommes cessent de vivre sous les lois accoutumées, cette sorte de pudeur générale, qui est en partie un effet de l’habitude, s’évanouit. Ne suffit-il pas, dans notre temps même, d’un mois de guerre étrangère et de huit jours de guerre civile pour déchaîner les instincts de l’état de nature, qui sont de méchans instincts ?

La dépravation a été fatale aux Francs. Cupides, ils sont éblouis par l’éclat de l’or ; ils entassent dans leurs trésors les métaux, les fourrures, les étoffes, les pierres précieuses. Troublés par cet enrichissement subit, épris de luxe, ils recouvrent de colliers, de bracelets, d’agrafes et de ceintures d’or leurs vêtemens dont la bordure est tissée d’or et de perles. Glorieux comme des parvenus, ils font parade de leur opulence. Frédégonde, envoyant en Espagne sa fille Rigonte, met le trousseau de la fiancée sur cinquante chariots, confiés à la garde de quatre mille hommes, qui les pillent en route. Ces rois, ces reines, ces officiers et leurs serviteurs sont en proie à la sacra fames, et pour la satisfaire, ils commettent des exactions qui sont une cause permanente de troubles et de révoltes.

Il n’est presque pas de prince auquel les écrivains contemporains ne reprochent le péché de luxure. Les barbares sont séduits par la beauté des femmes romaines et le charme de nouveauté qu’ils trouvent dans ces amours. Celui-ci fait enlever en Aquitaine des convois de filles de sénateurs. Un autre, envoyé par son père pour