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d’écritures et de livres. Le révérend Webb, né en Angleterre, est venu en Australie avec ses pareils à l’âge de quatre ans. Il a fait ses études théologiques à Newton-College (Sydney). Sa femme est Australienne. On me dît que la plus grande partie des missionnaires protestans, surtout des missionnaires méthodistes et congrégationalistes, sortent des familles du petit commerce de Sydney et de Melbourne. M. Webb est un homme jeune encore. L’intelligence et l’énergie sont peintes sur son honnête figure. Comme ses confrères, c’est un rude pionnier de la civilisation. En comparant ces deux hommes, le père Bréhéret et M. Webb, tous deux d’un mérite que personne ne conteste, on voit toute la distance qui sépare le missionnaire catholique du missionnaire protestant Mais, par des voies diverses, ils tendent au même but.


12 juin. — Hier, dans l’après-midi l’Espiègle a mis à la voile. Ce matin, il rasait Hat-Island, Vatu-Vara, un immense bloc de pierre taillé en tonne de chapeau. A une certaine distance, l’illusion est complète, A dix heures, jeté l’ancre dans de l’eau profonde, à quelques brassées d’une falaise encadrée par la forêt. C’était l’île de Mango (les missionnaires écrivent Mago), possédée et exploitée par une compagnie de Sydney. Les anciens habitans, des Fijiens, ont, il y a plus de vingt ans, abandonné leur terre natale. Ceux de leur race qu’on y trouve maintenant, une centaine environ, ont été importés de Yasawa et engagés comme travailleurs pour un an. Il y a aussi, au service de la compagnie, des Polynésiens et des coolies hindous.

Ce qui se passe dans cette petite île pourrait donner aux anciens maîtres de l’archipel un avant-goût du sort qui les attend. De manière ou d’autre, les habitans s’en vont, ils disparaissent, et, si l’on en trouve encore, ce ne sont plus les propriétaires du sol, ce sont des domestiques loués pour un, deux, trois ans. A l’expiration de leur engagement, ils s’en vont, soi-disant pour rentrer chez eux ; mais, en vérité, on ne sait pas trop où ils vont. Ceux qui restent sont les maîtres, et les maîtres sont des blancs. Mus par une seule pensée, par le désir de réussir, de gagner de l’argent et d’en gagner beaucoup et vile, disposant de capitaux, qu’il est si facile, trop facile peut-être de trouver en Australie, s’aidant de tous les progrès de la science, intrépides, persévérans, rompus au travail, les blancs vont de l’avant : go ahead. Comment le pauvre sauvage pourrait-il lutter avec eux ? Il est condamné à succomber, à dépérir, à disparaître. Ce n’est pas qu’il soit persécuté ou traité avec cruauté. Dans les Nouvelles-Hébrides, dans les îles Salomon et dans d’autres groupes de l’Océanie, des actes de violence se