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yam nous semblèrent bien cultivés. Près du hameau, nous trouvâmes un cercle de pierres entouré de beaux arbres, avec un foyer au milieu. Une fois par semaine, on y cuit le pain. Naguère, on y cuisait l’homme, aujourd’hui comme alors, quand le feu est allumé, les chefs de famille s’y réunissent pour prendre leur kava et discuter la chose publique.

Ce fut une charmante petite excursion, mais l’état des chemins ma guéri de toute velléité de pénétrer plus avant dans l’intérieur. D’ailleurs, qu’est-ce que l’intérieur de ces îles ? Une forêt épaisse entre deux plages.


La grande rue de Levuka, longue rangée de maisons qui bordent la mer, ne manque pas d’animation. On y rencontre quelques blancs et quantité d’indigènes. Ni les uns, ni les autres ne semblent très affairés. Des bateaux pontés, quelques cutters et deux ou trois grands voiliers se balancent dans le port. La navigation à vapeur est représentée par un petit steamer qui transporte la malle à Suva. J’entrai dans quelques boutiques qui portaient sur leurs enseignes des noms anglais et allemands. Je découvris aussi un nom tchèque, dont le porteur exerce le métier de tailleur. Il se plaignait de faire de mauvaises affaires. Mais aussi quelle anomalie ! Du tailleur dans un pays où on se passe de vêtemens !

Les indigènes gagnent à être connus. Une fois habitués à l’irrégularité de leurs traits et à leurs bouches de requin, on ne trouve plus dans leurs physionomies que bonhomie et gaîté, avec un certain air d’indépendance qui leur sied fort bien. Parmi les femmes, il y en a de fort jolies. Mais la première jeunesse est la condition de la beauté. À l’âge de seize ans, on est matrone ; encore quelques années, et la sylphide d’antan est devenue un monstre d’obésité.


Nous revenons du government house, aujourd’hui inhabité mais toujours tenu en état de recevoir sir William et lady de Vœux quand le besoin des affaires ou la nécessité d’un changement d’air ramené le gouverneur et sa famille dans l’ancienne capitale. Cette maison a été batte par le roi Takumbau. On l’a agrandie, adaptée aux besoins européens, et l’on a pris toutes sortes de précautions pour préserver les appartemens de l’humidité et de la chaleur. C’est un vaste rez-de-chaussée protégé sur ses derrières, contre le soleil couchant, par un rideau d’arbres, et sur le devant par une vérandah qui donne sur un petit jardin, ou plutôt un tapis de gazon entouré de parterres de fleurs. Il n’existe dans ces îles aucune