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et appui auprès du révérend Langham. Ils préfèrent s’adresser au gouverneur. Cependant le chef de la mission de Mbao jouit encore d’un grand prestige et il est et restera, dans cet archipel, une figure historique. A son regard, pénétrant mais froid, à ses traits immobiles, à sa physionomie sévère qui n’a rien de sanctimonious, ni d’onctueux, on devine qui il est. Son extérieur annonce la tournure de son esprit et la force de son âme. Elle explique sa longue et bienfaisante carrière.

Il faisait nuit lorsque nous quittâmes la mission. La pleine lune, qui inondait la terre et la mer de teintes argentées, voulut bien nous faciliter la descente de la rampe et le retour à notre petit vapeur, où nous arrivâmes à une heure assez avancée.


Levuka. — Mango. — Loma-Loma. — Du 9 au 15 juin. — Nous avons quitté Suva hier. La nuit a été détestable. Quel roulis ! J’avais beau me caler dans ma couchette, la crainte d’être jeté par terre chassait le sommeil. Mais, ce matin, le temps est superbe. L’Espiègle, qui a quitté Suva hier dans l’après-midi, croise entre les îles Ovalau et Wakaya. Il y a exercice à feu. Les cinq pièces de 104 lancent leurs boulets, et les montagnes des deux îles nous renvoient les échos des détonations. Malgré la houle, les artilleurs manquent rarement la cible, et le capitaine est radieux,

A midi, la cervelle franchit la ceinture de corail et jette l’ancre devant Levuka, l’ancienne capitale de Fiji. Elle regarde à l’est. Une montagne à plusieurs pics, qui est l’île même, domine de toute sa hauteur la ville assise à ses pieds. Levuka n’est qu’une rangée de maisonnettes de buis couvertes de fer plissé qui suivent la plage. Quelques petites villas disséminées sur les gradins de la montagne se détachent un fond sombre d’une végétation exubérante. On y arrive par des escaliers en bois ou par des sentiers abrupts. Excepté le ciel et les maisons, tout est vert, le vert de la forêt qui couvre montagnes, rochers, ravins, mamelons, absolument tout. La nature n’a mis qu’une seule couleur sur sa palette, mais avec cette couleur elle a peint un paysage ravissant. Si on regarde en arrière, on se trouve en présence d’un spectacle magique. Dans le Sud-Pacifique, c’est toujours la même chose et c’est toujours du nouveau. Les mêmes élémens se reproduisent sans cesse. On se lasse de les décrire, on se lasserait d’en lire la description, on ne se lasse pas de les contempler : les terres ou hautes ou à fleur d’eau, mais toujours vertes ; la lagune multicolore selon la profondeur de l’eau et la position du soleil : la ligne blanche et écumante des récifs ; au-delà de la ceinture, l’océan presque noir par le contraste avec les teintes éclatantes de la lagune, qui ressemble à une rivière de