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de roseaux et de feuilles. C’est le mur d’enceinte. Pas de cheminée et pas de compartimens dans l’intérieur, qui forme une seule grande pièce. L’ameublement est des plus simples : quelques nattes, une lampe à pétrole (on en a introduit un grand nombre dans les dernières années), et rien qui ressemble à des lits, à des chaises ou à des tables. Les provisions de bouche et les objets de toilette sont suspendus dans les combles.

Dans les rues, si on peut ici parler de rues, un gazon frais et touffu tient lieu de pavé, et, à chaque instant, on passe du soleil à l’ombre d’arbres séculaires : des mangroviers, des banyans, l’arbre à pain aux feuilles incisées, le gracieux ti, l’arbre de la fougère, quelques cocotiers et d’autres que j’ai le plaisir de connaître de vue, mais dont hélas ! j’ignore les noms. Souvent les passans sont obligés de se frayer passage à travers des bouquets de broussailles aux feuilles multicolores et veloutées, coquettement parés de fleurs écarlates, rose thé, lilas, bleu de ciel. Notre cicérone s’arrête devant deux grosses pierres placées verticalement à côté l’une de l’autre. Un immense banyan courbé par l’âge étend au-dessus d’elles ses branches tourmentées. Derrière, un tronc d’arbre calciné et le rideau vert formé par une petite colline à pic toute tapissée d’herbes et de feuillage. Quelle scène bucolique, quel coin délicieux, bien fait pour inviter aux douces rêveries ! Ce fut, cependant, contre ces deux pierres que l’on brisait les crânes des malheureuses victimes destinées à être servies en pâture dans les festins officiels du vénérable Takumbau. Deux hommes saisissaient le malheureux, chacun tenant l’un de ses bras et l’une de ses jambes. On mettait le corps en branle et on finissait par le lancer, la tête en avant, contre les blocs. Cet endroit si poétique était le grand abattoir d’hommes. Pour cette raison, cette partie de la ville portait autrefois et conserve encore le nom de quartier de la boucherie.

Le palais, ou plutôt la cabane de la princesse Andiquilla, ne se distingue des huttes du commun des mortels que par un peu plus d’élévation et par le coquillage blanc dont est orné le bout du gros chevron qui avance dans la rue. C’est le privilège des princes et des princesses du sang. A notre arrivée, quelques servantes étaient occupées, probablement en notre honneur, à épousseter fort à la hâte les nattes qui couvraient le sol. Nous trouvâmes la princesse accroupie, les genoux aux dents, le dos appuyé contre un des piliers du centre. Elle était en conversation familière avec un vieux bouli et, sans se déranger, nous prodigua les poignées de main, accompagnées de force gros rires. Mais quoique vêtue seulement de sa tunique bleue, et malgré le négligé de sa toilette et de sa tenue, elle avait grand air. N’était sa corpulence hors ligne, on la dirait encore belle femme. Son regard vif et pénétrant m’a surtout frappé.