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L’année dernière, la petite ville se composait de quelques cabanes, aujourd’hui elle possède une ou deux églises, de belles maisons, des écoles et plusieurs hôtels qui ont fort bon air. Je préfère cet assemblage d’habitations à la physionomie plus prétentieuse des villes naissantes de l’Australie. Suva brille par la modestie. Ses rues ne sont ni larges ni droites, mais elles sont flanquées de trottoirs en bois ; et dans les magasins on trouve accumulés tous les produits de l’industrie européenne. Il n’y a que les vivres qu’il soit difficile de se procurer. Nous entrons dans quelques boutiques tenues par des Australiens. C’est principalement avec de l’argent fourni par Sydney qu’on fait les affaires. Mais Melbourne tient le haut du pavé. Melbourne fournit les hommes, l’esprit d’entreprise, le go ahead. J’ai rencontré aussi plusieurs Allemands, Ici, comme dans toutes les parties du globe où ils s’établissent, ils prospèrent. On vante leur activité, leur intelligence, leur esprit d’économie et leur sobriété. Pas de luxe et pas d’excès d’aucun genre.

Pendant que les blancs travaillent dans leurs comptoirs ou dans leurs boutiques, les indigènes, hommes et femmes, flânent dans les rues, bavardent et rient à gorge déployée. Le Fijien est ordinairement de taille moyenne : il a les épaules carrées, le buste et les membres fortement constitués. Ses traits manquent de régularité, et les lèvres charnues de sa grosse bouche année de longues dents effilées vous rappellent vaguement l’anthropophage émérite. Et cependant il a l’air ouvert, gai et bon enfant. Selon la proportion de sang polynésien qui coule dans ses veines, son teint varie du noir au brun bourbeux ou à la couleur d’olive. Dans ce dernier cas, il est fils ou petit-fils de Tongien. Ce qui frappe surtout le nouveau débarqué, c’est la coiffure des hommes. Ils peignent en blanc avec de la chaux de corail leur riche chevelure qui est noire et crépue. Au moyen d’ablutions, la chaux disparaît après quelques jours. Les cheveux semblent alors ciselés dans du bronze d’un clair jaunâtre. Le premier aspect de ces sauvages ne vous prévient pas en leur faveur ; mais peut-être faut-il s’habituer à les voir. Le fait est que les résidens les trouvent beaux. Il paraît que le Fijien gagne à être regardé. Il gagne aussi, me dit-on, à être connu, Il est bon, intelligent et, sans être obséquieux, naturellement poli. Sa toilette est des plus simples : un pagne en coton ou en écorce d’arbre autour des reins, une fleur dans les cheveux. Les femmes, dont quelques-unes m’ont paru jolies, portent ou la chemise longue que les missionnaires leur ont octroyée, ou bien une jupe et sur les épaules une sorte de pinafore ou tablier qui couvre le sein et le dos.

Nous pouvons les comparer avec les travailleurs importés par