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à bord au beau milieu du Pacifique, weather permitting. Si le vont n’est pas trop fort, si la mer n’est pas trop houleuse, si l’atmosphère est assez claire pour que les deux navires puissent se voir, en un mot, si les élémens sont aussi aimables que le Commodore et le capitaine et les directeurs de la compagnie américaine, je serai à San Francisco le 14 ou le 15 juillet. Sinon, — vogue la galère !

D’ailleurs, à en croire mes amis d’ici, ce n’est pas le seul risque que je vais courir, le risque assez peu formidable, au reste, de passer quelques mois de plus en fort bonne compagnie. Tout le monde me met en garde contre les sauvages dont je dois faire la connaissance. Ils sont hostiles et traîtres, s’embusquent dans les broussailles, attaquent, tuent, mangent les équipages des bateaux envoyés à terre. Le commodore Goodenough, un des prédécesseurs du commodore Erskine, n’a-t-il pas été tué ainsi, il y a quelques années seulement ? L’endroit où ses restes sont enterrés est devenu la partie la plus recherchée du cimetière de Sydney. Tout le monde désire reposer à côté d’un héros, car c’était, en effet, un héros. D’ailleurs, le capitaine Bridge me dit à l’oreille ; « Nous n’irons pas aux Nouvelles-Hébrides ni aux îles Salomon, les terres classiques du cannibalisme ; nous nous visiterons des îles où on a renoncé à la mauvaise habitude de manger son semblable. » Je n’ai garde de désabuser mes amis. Il est si doux de devenir un personnage intéressant ! Et n’est-il pas intéressant d’aller dans un pays où on ne se demande pas : Que mangerai-je ? mais par qui serai-je mangé ?

Le capitaine vient me chercher. Quelques coups de rames et nous voilà à bord de son bâtiment, mouillé à quelques brasses du Nelson. Le bâtiment se met aussitôt en mouvement, rase le vaisseau amiral, d’où les hôtes du commodore, interrompant la danse, nous envoient mille saluts, pendant que le soleil, un globe de feu rouge, disparaît majestueusement sous l’horizon de la mer.

Il faisait nuit lorsque, après avoir passé entre les heads, nous gagnâmes la haute mer. La lumière électrique du nouveau phare, le premier du monde, est si intense, qu’à la distance de 5 à 6 milles l’œil peut à peine en supporter la clarté éblouissante.

Newcastle, 18 et 19 mai. — C’est une ville considérable. En bas, sur la plage, les docks, les magasins, les boutiques, les tramways. Le charbon étant le maître de la situation, tout est noirâtre. Derrière le quartier commercial, sur le haut de la dune, les habitations des citoyens aisés et nombre d’églises, car toutes les confessions : catholique, anglicane, presbytérienne, méthodiste, ont leurs temples. Aujourd’hui dimanche on ne voit que gens munis de leurs livres de prière ou d’hymnes gravir au pas accéléré des rues raides et droites,