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Eh bien ! il faut que les populations françaises sachent comment les républicains entendent être un gouvernement d’opinion et respecter leurs sentimens. Le pays témoigne ses craintes du radicalisme, on lui répond par des défis ; il demande la paix religieuse, on lui promet l’abolition du concordat ; il réclame l’ordre dans les finances, on lui donnera L’impôt sur le revenu. Le pays donne 3 millions et demi de voix aux conservateurs, on invalidera au besoin les conservateurs des départemens suspects qu’on tient encore en réserve, comme on a invalidé déjà les élections du département de Tarn-et-Garonne. Qu’y avait-il donc dans ce scrutin de Tarn-et-Garonne où les conservateurs ont eu plus de trois mille voix de majorité ? On n’a rien trouvé de sérieux, le républicain chargé du rapport sur l’élection l’a lui-même avoué ; mais les élus étaient des réactionnaires, — et M. Paul Bert a découvert une raison souveraine qui a décidé le vote : il a prétendu que si quelques prêtres s’étaient mêlés de l’élection, le clergé tout entier avait dû s’en mêler ! Le soupçon suffit, et M. Paul Bert a décidément conquis son titre de casuiste du radicalisme. On ne voit pas qu’en procédant ainsi, en témoignant ce mépris pour les manifestations les plus sérieuses de l’opinion, en cassant les élections de tout un département, on n’est plus même un parti, ou ne représente que l’omnipotence abusive et haineuse d’une passion de secte.

Avec cela on polit aller loin, et le premier résultat de cette politique de fantaisie révolutionnaire est de rendre tout gouvernement régulier et sérieux à peu près impossible, d’engager de plus en plus la république dans une voie sans issue. On ne gouverne pas avec l’anarchie, même avec l’anarchie plus ou moins disciplinée, on ne fonde pas un régime sur la négation des conditions conservatrices de tous les régimes, sur une déclaration de guerre aux instincts du pays. Le ministère l’a senti vaguement, il faut le croire, et c’est sans doute parce qu’il a en ne vu le péril qu’il a cru devoir se réserver, refuser de céder aux excitations, aux sommations dont il a été assailli depuis quelques jours. Il a même manœuvré assez habilement pour de jouer jusqu’ici toutes les ludiques de ceux qui ont cru pouvoir un instant lui imposer, par des flatteries ou par des menaces, la politique des réunions plénières ou non plénières. Le fait est qu’il a éconduit poliment les émissaires qui lui ont été envoyés pour le prier plus ou moins de capituler ou de s’en aller. Le malheur du ministère est que, s’il ne veut pas aller trop loin, il ne sait pas où il veut aller ni où il veut s’arrêter, — que, s’il se défend de certains entraînemens, il est encore trop lié à ceux qui voudraient l’entraîner, — en le remplacer. Il se sent dans une situation fausse ; il a toutes ces perplexités de l’indécision et de la faiblesse dont la déclaration lue il y a quelques jours aux chambres par M. le président du conseil est l’expression assez sincère et assez naïve. Qu’est-ce, en effet une cette déclaration ? Il est vrai, elle paraît bien