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là, au moment où il croit approcher de la fin de ses peines, il perd son père. La légende plaçait la mort d’Anchise en différens endroits, et l’on montrait son tombeau dans presque tous les pays où les Troyens s’étaient arrêtés. Virgile était donc libre de le faire mourir comme il voulait. Il a tenu à le laisser accompagner son fils le plus longtemps possible ; il lui convenait de placer à côté du pieux Énée une sorte d’interprète des dieux qui pût lui expliquer leurs oracles et lui transmettre leur volonté. Mats il ne pouvait pas sans de graves inconvéniens le lui conserver davantage. Nous touchons au moment où une tempête va jeter Énée sur les côtes d’Afrique ; il doit y trouver l’hospitalité de Didon et « passer tout un long hiver dans les plaisirs. » Quelle figure aurait faite le vertueux Anchise au milieu de cette aventure amoureuse ? Il ne pouvait ni l’empêcher puisque les dieux y consentaient, ni la permettre sans manquer à la gravité de son caractère ; il valait mieux qu’il n’y assistât pas, Virgile a donc pris le parti de le faire disparaître à propos.

Après la mort de son père, Énée quitte la Sicile, mais ce n’est pas pour toujours : il doit y revenir quelques mois plus tard, lorsqu’il s’est enfui de Carthage, et y séjourner pendant toute la durée du cinquième livre.


IV

On a souvent remarqué que le cinquième livre n’est pas uni d’une manière bien étroite au reste du poème. On pourrait le supprimer sans qu’il manquât rien, sinon à l’agrément de l’ouvrage, au moins à la suite et au développement de l’action. Il n’y est guère question que de cérémonies et de spectacles, et cette lutte acharnée d’un homme contre les divinités contraires pour accomplir une mission divine, qui est le sujet de l’Enéide, semble s’y reposer un moment, Énée, obéissant aux ordres de Jupiter, vient d’abandonner Didon et il navigue vers l’Italie. Tout d’un coup, le vent fraîchit ; le pilote, qui s’épouvante vite, déclare qu’il n’ose pas continuer sa route avec un ciel aussi menaçant. Le prudent Énée se laisse aisément toucher par ces craintes et consent à s’arrêter en chemin. La Sicile est voisine : c’est une terre amie sur laquelle règne un Troyen,