Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur une grève, parmi des rochers sinistres, voici Charles-Édouard qui se traîne ; et, d’autre part, surviennent Angus et Marie. Épuisée par la fatigue, la faim et le désespoir, la jeune fille s’éteint


Comme un feu du berger sur qui tombe la neige.


Aux genoux de son grand-père, elle dort cet avant-dernier sommeil où la pauvre créature humaine, bien souvent, revoit sa chimère favorite. Charles-Édouard, tandis qu’elle repose, s’approche d’Angus qu’il ne reconnaît pas, et lui demande un morceau de pain : la rencontre, cette fois, n’est-elle pas saisissante ? L’ombre de Shakspeare ne plane-t-elle pas sur cette scène ?


Le prince a demandé l’aumône au mendiant !


Le mendiant, hélas ! n’a rien à partager avec lui. L’Écosse ne peut plus rien faire pour son prince que de mourir en lui disant adieu. Aussi Marie s’éveille :


Quel doux rêve j’ai fait !.. La journée était belle…
Le ciel riait… Un grand espoir flottait dans l’air…
Et je vis le haros qui marchait dans la mer !..
Sa croix de diamant brillait comme une étoile…
Il me prit dans ses bras… Sur ma robe de toile,
Un moment, j’ai senti son cœur près de mon cœur.


Elle le sent, en effet ; elle rend à son demi-dieu le baiser qu’il lui donna, voilà six mois, sur ce rivage ; comme elle lui souhaita la bienvenue, elle console maintenant son exode. Avant, qu’il s’éloigne sur le navire français qui est en vue, avant qu’elle tombe, en lui adressant un geste de bénédiction, pour ne plus se relever, elle l’assure que son cher souvenir vivra toujours sur la terre d’Écosse :


Par les belles nuits de France ou d’Italie,
Quand tu souffriras trop de ta mélancolie,
Pense à nos nuits du Nord, sereines par hasard :
La lune, tout à coup dissipant le brouillard,
Se mire dans le lac où les daims viennent boire ;
Les astres sont brillans, la campagne est moins noire ;
On distingue les pics neigeux à l’horizon ;
Et le son d’un pibrok, venant d’une maison
Où veille une lumière et qu’un pauvre homme habite,
Soudain s’élève et joue un vieil air jacobite…


On les écoute, ces vers, avec le recueillement dont ils sont dignes : c’est dire que les applaudissemens éclatent, presque aussitôt après, lorsqu’Angus a enveloppé la morte dans le dernier drapeau écossais, et