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mise à prix, exhaler sa douleur, raconter, en vers hallucinans, ses songes de fuyard.

Même, il est peu touché ce public, par une scène entre le prince et l’Innocent, un garçonnet dont la faible raison ne conçoit guère les malheurs qui l’entourent. Il élève presque une question préalable et prétend réserver à l’Arlésienne le privilège d’un tel personnage ; il ignore que, bien avant M. Alphonse Daudet, Walter Scott, imitateur de Wordsworth en ce passage, avait retenu pour M. Coppée la place de l’Innocent dans un drame pareil. Moins mal disposé, il eût admiré celle rencontre comme shakspearienne ; à peine s’il goûte l’exquise allégorie de ce nid de fauvette apporté par l’enfant au vaincu :


Et dire qu’il suffit d’un orage qui passe
Pour que ce grand travail ait été fait pour rien !
…….. — Tais-toi, pauvre infant ! .. Cet assez !
Par mon ambition, que de nids renversés ! ..


M. Coppée se défiait-il de cette maussaderie ? A la scène, il a supprimé un passage que je regrette, l’ayant trouvé dans la brochure[1]. « Le roi ! .. interrogeait le prétendant ; on t’a parlé du roi ? .. » L’Innocent cherchait dans sa mémoire, et soudain, tirant de sa poche une pièce de monnaie ; « Ah ! j’y suis ! Tu sais lire… » Et le prétendant, ce prince en idée, confronté avec le prince réel, lisait sur la pièce : « Georges II, roi de Grande-Bretagne. » C’était à mon sens un trait scénique, allant droit et loin, digne d’un pur drame historique, et de l’ordre le plus élevé, aussi bien que d’un drame symbolique, tel qu’est plutôt celui-ci. Mais ne faut-il pas que le poème se hâte ? On n’a guère d’indulgence, à l’heure qu’il est, pour l’artifice d’un médaillon, rapporté par l’Innocent, où Fingall découvre, avec un portrait de Charles-Edouard, un billet qui lui révèle la trahison de sa femme. On ne tolère qu’avec mauvaise grâce ses imprécations contre le prince, — qui à présent se trouve son hôte, dormant sous le toit de son vassal ; — même on ne tolère qu’à peine, après ses menaces de mort, son brusque retour au sentiment de l’hospitalité, son effort pour dompter sa colère, et, à la fin, lorsqu’il arrête les soldats anglais en se livrant, son sacrifice. Oui, en vérité, on lui permet malaisément de se dévouer à son tour, comme si le propre sujet de la pièce n’était pas le dévoûment de tous les Jacobites à la royauté !

Cependant, au cinquième acte, alors que les moins raffinés ont reconnu la nature de l’ouvrage et en ont pris leur parti, la vertu de la poésie est la plus forte. Ici elle agit toute pure et n’emprunte le secours d’aucun élément dramatique ; désarmés par cette franchise, les plus rebelles se laissent aller derechef à l’admiration.

  1. Lemerre, Éditeur.