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la sauver. Comment ? Une inspiration la saisit ; elle se rappelle que les chefs, s’ils trouvent ici une fille de rien, doivent se retirer sans colère ; elle fait cacher Dora ; elle est surprise à sa place par Fingall et Gordon :


… Puisse l’holocauste, au ciel, être approuvé,
De mon honneur perdu pour mon pays sauvé !


Même, comme Fingall et Gordon paraissent douter encore, elle laisse tomber à leurs pieds une bourse que le prétendant lui a donnée tout à l’heure, pleine d’or et brodée à ses armes :


Charle-Edouard m’a dit : Sers-t’en pour mon service.


Mais voici que le troisième conjuré, Donald, arrive à son tour et qu’il amène avec lui, pour être juge du crime et en témoigner devant le peuple, qui ? L’aveugle Angus ! Vainement on dit au vieillard que la maison est vide : il a entendu sangloter une femme ; il adjure les trois hommes de la lui nommer ; il l’adjure de se déclarer elle-même. Elle est du peuple, sans doute, et c’est pourquoi ils abandonnent la querelle ; eh bien ! lui veut la poursuivre. Ils se taisent. Elle pleure sans répondre ; il les maudit alors comme complices du crime ; il la maudit elle-même. C’en est trop : « Ah ! grand-père ! » À ce cri de sa petite-fille, la fureur d’Angus éclate en désespoir et presque en délire. Il se dresse comme un prophète outragé, qui appelle son Dieu à la rescousse pour venger son outrage ; ce Dieu qu’il a tant prié pour ses rois, il le somme de l’aider au régicide :


Dieu ! rends-moi mes regards, brûlés de pleurs de sang,
Pour un jour, un seul jour ! .. O Dieu, toujours présent,
Qui portes en tes mains les foudres éternelles,
Lance un éclair, remets la flamme en mes prunelles,
Que mes yeux pour frapper puissent guider mon bras !
Un miracle ! .. Un miracle ! ., ou tu n’existes pas !


Il chasse du geste les trois hommes et reste seul avec sa petite fille ; elle aussitôt, simplement :


Père, je ne suis pas coupable ; j’ai menti !


Par quel dévoûment elle a menti, Dora reparaît pour le dire : Marie est innocente, et le prince garde son armée. Justement une marche, sonnée par des cornemuses, annonce qu’il lève le camp. N’importe ; l’aveugle, à demi confident de la Providence, n’a plus la même foi dans sa fortune : avec les yeux de l’âme, il voit une tache à son étoile. Marie, par une caresse, ferme cette bouche d’augure :


Ne parlez pas ainsi, grand-père ; car je l’aime.