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avec le degré de consistance et de particularité qu’admet un ouvrage de cette sorte, y sont franchement posés, les passions annoncées, le principe de l’action mis au jour : c’est une solide et belle assise pour le monument qui s’élève.

Le deuxième acte, au camp du prince, après les victoires de Preston-Pans et de Falkirk, est un tableau de mœurs traité avec plus de minutie et de curiosité que le précédent. D’une part, auprès des belles dames, — émules de lady Hackintosh et de cette Jenny Cameron que Charles-Edouard appelait « son joli colonel, » — auprès de lady Fingall et de lady Murray, voici un Français, le marquis d’Aiguilles, mis à la dernière mode de Versailles, qui madrigalise, marivaude et donne de gracieuses nouvelles : la Pompadour, assure-t-il,


Suit de loin vos succès et marque, chaque jour,
Le terrain qu’ont gagné vos montagnards farouches
Sur la carte d’Ecosse, avec sa boîte à mouches.


D’autre part, les chefs de ces montagnards, Donald de Glenmoriston et Gordon de Glencoe, des fauves sortis de leurs tanières, roulent volontiers des yeux féroces et hérissent leurs crinières rousses, Le prince exprime par son costume les deux états de civilisation qui s’unissent pour sa cause : il porte, avec une veste à la française, le bonnet à plume d’aigle et la courte jupe de tartan ; il a la tête poudrée et les jambes nues. Il révèle une âme à l’avenant, mi-partie héroïque et galante. Il rêve de traverser l’histoire comme un météore, en sorte que le monde, après lui, paraisse changé quelque peu,


De même que le ciel semble rapetissé,
Et plus triste et plus bas, quand un aigle a passé.


Cependant il aime Dora, il s’est fait aimer d’elle : sur un avis de Marie, qui éclaire son armée en infatigable espionne, il va lever le camp ; il exigu d’abord un dernier rendez-vous de sa maîtresse. Mais Donald et Gordon, ces loups qui sont de bonne garde, ont déjà surpris ces amours ; ils ignorent le nom de la coupable ; ils se doutent seulement que c’est la femme d’un des soldats du prince ; ils font part de leurs soupçons à Fingall ; ils le somment de venir avec eux au lieu désigné. S’ils n’y trouvent qu’une fille de rien, ils excuseront la peccadille ; mais si, comme ils le craignent, un des leurs a été offensé, alors ils abandonneront ce prétendant libertin et traître : ainsi le commande le sévère honneur que ces chefs de clan ont hérité de leurs pères.

Ils ont presque fait sourire, ces vertueux sauvages ; ils ont paru échappés de la Légende des siècles ou des Poèmes barbares plutôt que descendus des Highlands et des Hébrides. Est-ce la faute du poète, pourtant, s’ils ont cette étrangeté de sentimens et de manières ?