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après, on verra ! Le rêve de M. Behramji est de voir ses 200 millions de compatriotes se transformer en hommes parfaitement raisonnables, et s’il reproche à l’administration anglaise d’être souvent indiscrète ou précipitée dans ses réformes politiques et sociales, il la bénît de tout en qu’elle entreprend pour détruire le fanatisme et pour ruiner les antiques idolâtries. Il a été charmé de voir que le vischnouïsme, qui est la religion dominante du Guzerate, avait perdu de son crédit, que ses impurs mystères étaient célébrés avec moins de ferveur, qu’on respectait un peu moins ses trente-sept grands-prêtres ou maharajas, honorés jadis comme l’incarnation visible de Vischnou, et auxquels tout pieux vaischnava consacrait son corps et son âme, souvent aussi le corps et l’âme de sa femme. N’était-il pas convenu que leurs caresses avaient une vertu occulte et divine, que toute chair était sanctifiée par leurs attouchemens ? Aussi font-ils payer royalement, aujourd’hui encore, leurs moindres faveurs, et ils n’accordent jamais de remise. Ils ont leur tarif, tout se vend chez eux à prix fixe. On leur paie 5 roupies pour avoir l’honneur de les contempler, 20 pour avoir la joie de les toucher, 13 pour être fouaillés de leur main, 17 pour manger le bétel qu’ils ont mâché, 19 pour boire l’eau où ils se sont baignés, 35 pour leur laver le gros orteil, 42 pour être admis à les frotter d’huile parfumée, de 100 à 200 pour goûter dans leur compagnie ce qu’ils appellent l’essence du plaisir. Leur marchandise est de premier choix, achetez-la de confiance, vous ne serez pas volé.

M. Behramji a plus d’indulgence pour les parsis que pour les vaischnavas. Il ne leur reproche que leurs éternelles prières, les six heures qu’ils passent chaque jour à marmotter leurs litanies. Agenouillemens, prosternations, cajoleries et promesses, menaces et bravades, tout leur est bon pour gagner les puissances célestes à leurs désirs, pour obtenir qu’elles leur envoient quelque bonne aubaine ou qu’elles procurent à leur fille un bon parti. M. Behramji ne leur pardonne pas de prendre Dieu pour leur entremetteur ou leur courtier et de s’imaginer que le souverain créateur n’a rien de mieux à faire que d’écouter les petites histoires d’un petit homme. S’il fait peu de cas des prières des parsis, il ne nous dit pas ce qu’il pense de celles des missionnaires anglais ; mais nous le devinons sans peine. Anglicans ou méthodistes, il nous les peint comme de grandes âmes, qui ne sont pas exemptes de petitesse, comme des cœurs chauds, mais souvent étroits, comme des apôtres pleins de zèle et de courage, dont le jugement est gâté par les partis-pris et qui ne voient dans le ciel et sur la terre que ce qu’il leur plaît d’y voir.

Elevé par les missionnaires de Surate, M. Behramji semble avoir abjuré entre leurs mains la religion de ses pères, mais il n’est pas