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Il revient tout chargé de butin, plus encor
De gloire, ramenant cinq rois de Morérie.
Ses captifs l’ont nommé le Cid Campeador.

Tel Ruy Diaz, à travers le peuple qui s’écrie,
La lance sur la cuisse, en triomphal arroi,
Rentre dans Zamora pavoisée et fleurie.

Donc, lorsque les huissiers annoncèrent : — Le Roi !
Telle fut la clameur que corbeaux et corneilles
Des tours et des clochers s’envolèrent d’effroi.

Et don Fernan debout sous les portes vermeilles,
Un instant, ébloui, s’arrêta sur le seuil
Aux acclamations qui flattaient ses oreilles.

Il s’avançait, charmé du glorieux accueil…
Tout à coup, repoussant peuple, massiers et garde,
Une femme apparut, pâle, en habit de deuil.

Ses yeux resplendissaient dans sa face hagarde
Et, sous le voile épars de ses longs cheveux roux,
Sanglotante et pâmée, elle cria : — Regarde !

Reconnais-moi ! Seigneur, j’embrasse tes genoux.
Mon père est mort qui fut ton fidèle homme lige ;
Fais justice, Fernan, venge-le, venge-nous !

Je me plains hautement que le Roi me néglige
Et ne veux plus attendre, au gré du meurtrier,
La vengeance à laquelle un grand serment t’oblige.

Oui, certe, ô Roi, je suis lasse de larmoyer ;
La haine dans mon cœur bout et s’irrite et monte
Et me prend à la gorge et me force à crier :

Vengeance, ô Roi, vengeance et justice plus prompte !
Tire de l’assassin tout le sang qu’il me doit ! —
Et le peuple disait : — C’est la fille du Comte. —

Car d’un geste rigide elle montrait du doigt
Cid Ruy Diaz de Bivar qui, du haut de sa selle,
Lui dardait un regard étincelant et droit.