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Il est d’ailleurs certain que, de toutes les tribus de l’île, celle des Sakalaves est la moins bien douée sous le rapport intellectuel, et la plus réfractaire à l’action de la civilisation ; impatiens de tout frein et de toute discipline, et incapables de se prêter à aucune organisation régulière, ils n’ont jamais été en état d’opposer une résistance sérieuse aux envahisseurs de leur pays, et il est à craindre que, dans les circonstances présentes, leur participation à nos opérations de guerre ne se montre plus préjudiciable qu’utile au succès de nos armes. Nos chefs militaires doivent être, au surplus, édifiés aujourd’hui sur le fond qu’il y a lieu de faire sur leur concours armé.

Jadis hardis et déterminés pirates, les Sakalaves dirigeaient périodiquement leurs pirogues, au nombre de plusieurs centaines, vers les îles Comores, qu’ils ravageaient systématiquement et dont ils enlevaient des femmes et les enfans pour les vendre comme esclaves ; ils avaient même la hardiesse de pousser parfois leurs déprédations jusqu’à la côte orientale d’Afrique et ils ne craignirent même pas d’attaquer à plusieurs reprises et de piller le comptoir portugais d’Oïbo. Ils menèrent cette vie de forbans jusqu’en 1816, époque à laquelle la fréquentation plus active de ces mers par les marines européennes vint mettre un terme à leurs exploits ; depuis lors ils n’exercent leurs brigandages que sur une échelle plus restreinte, et se bornent à rançonner les étrangers et à piller, quand ils peuvent le faire impunément, les navires de commerce qui ont l’imprudence de leur donner accès à leur bord. Quelques négocians de l’île de la Réunion ont néanmoins persisté à se risquer dans leurs parages et à entretenir des relations de commerce sur ces côtes si inhospitalières ; mais ce n’est qu’au prix de dangers incessans et en donnant satisfaction à l’insatiable avidité des chefs indigènes, que les navires de commerce opérant sur ces plages peuvent se livrer à leur trafic[1]. Voici, à ce sujet, les observations recueillies sur les Sakalaves par quelques-uns des voyageurs qui les ont fréquentés. « Les habitans du Bouéni, dit M. Noël[2], ne sont que le rebut des Sakalaves d’Ambougou et du Ménabé ; ils sont moins belliqueux, ont un caractère féroce, une haine profonde contre l’étranger et un goût prononcé pour le meurtre et le pillage. Les Sakalaves sont turbulens, vaniteux, menteurs, insoucians de l’avenir, défians par ignorance, souvent cruels par superstition. » M. Guillain[3] ne les juge pas d’une manière plus favorable.

  1. Adolphe Leroy, Notes sur Madagascar, 1884.
  2. Noël, Recherches sur les Sakalaves (Bulletin de la Société de géographie, avril 1843).
  3. Guillain, Documens sur l’histoire et la géographie de la côte occidentale de Madagascar.