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Christianz Schnabel. Elle avait reçu une éducation ordinaire. D’un esprit naturellement étroit, encore rétréci par les préjugés, elle entrava longtemps la vocation de son fils. Étrangère à l’art, elle tenait les artistes pour gens de peu. Elle chérissait pourtant et gâtait Hubert, qu’elle appelait son « point lumineux » et qui était le dernier de ses enfans. Les trois frères et la sœur de Schumann moururent avant lui. Sa sœur succomba à une maladie moniale analogue à celle qui devait l’emporter lui-même.

Aucun prodige n’illustra les jeunes années du maître. Il n’eut pas l’enfance extraordinaire de Mozart, par exemple, dont le génie naissant frappait d’étonnement, presque d’effroi, les archiduchesses d’Autriche et les prélats romains. À huit ans, perdu tout au fond de sa province, Schumann essayait des accords sur un vieux piano relégué dans l’arrière-boutique paternelle. Il ne connut ni les succès précoces, ni les tournées triomphales à travers les cours princières. Les débuts de Schumann furent humbles, ses premières études austères. C’est en 1819, au retour d’une excursion à Carisbad, où il avait entendu Moschelès, que son goût pour la musique éclata. Son père, qui l’encourageait, confia l’enfant à un modeste professeur de Zwickau, nommé Kuntsch. Trop peu fortuné pour acheter de la musique gravée, le pauvre maître avait patiemment copié lui-même un grand nombre de livres classiques. Dans ces recueils, composés avec goût, et qui furent les premiers livres de Schumann, Sébastien Bach occupait heureusement une place d’honneur, qu’il garda toujours dans l’admiration de Robert.

Cependant, l’enfant progressait. Bientôt son père voulut l’envoyer auprès de Weber, qui résidait alors à Dresde. Mais, soit que Weber ait été empêché, soit que la mauvaise volonté de Mme Schumann ait contrarié les projets de son mari. Robert ne reçut jamais les leçons du grand musicien. Peu après, son père vint à mourir. Schumann avait alors seize ans. Cette mort eut sur lui beaucoup d’influence, il perdait le gardien, le défenseur de son génie. Et puis son âme était faite pour la douleur : la première larme l’emplit d’amertume. Schumann appartenait dès lors à la mélancolie. Il s’attrista peu à peu. Il regarda la vie, et elle lui fit peur. Il s’émut à l’avance des rivalités inévitables et de l’idéal inaccessible. Sa mère, insensible à ses prières, le contraignait à l’étude du droit. Il souffrait comme son père avait souffert autrefois. Trois ans se passèrent, partagés entre le droit et la musique, ou plutôt perdus pour l’un et pour l’autre, sans que rien put vaincre la volonté de Mme Schumann ni les répugnances de Robert. Le pauvre garçon se consolait autant par la poésie que par la musique ; si l’on peut appeler consolantes les émotions que lui donnaient ses livres préférés. Son auteur de